La fusion des deux chambres pour créer une seule Chambre de l’assurance, annoncée par le projet de loi 92 (PL-92) déposé le 8 avril dernier à l’Assemblée nationale, est issue d’une réflexion amorcée en janvier 2023 à la suite de la création de l’Organisme canadien de réglementation des investissements (OCRI), indique-t-on au cabinet du ministre des Finances du Québec.
Le Portail de l’assurance a posé quelques questions au cabinet du ministre des Finances, Éric Girard. Il n’a pas été possible d’obtenir les documents d’analyse qui ont été utilisés par le gouvernement pour appuyer ce projet de fusion, lesquels sont confidentiels, selon le cabinet.
Divers organismes et leaders de l’industrie interrogés par le Portail de l’assurance ont préféré ne pas commenter publiquement le projet de loi. Sur une base confidentielle, tous ont toutefois affirmé avoir été surpris de son dépôt n’ayant jamais été consultés ou sondés par le cabinet ou l’Autorité des marchés financiers. Or, selon certains, c’est étonnant puisqu’il a souvent été coutume pour le cabinet d’un ministre de sonder le pouls d’acteurs de l’industrie avant de lancer des réformes pour « mesurer » leur portée sur le fonctionnement de l’industrie.
Une autre source a affirmé voir dans ce projet l’aboutissement d’un long processus de discussion, amorcé voilà des décennies, sur l’encadrement uniformisé de la distribution de services financiers particulièrement en épargne collective.
Réaction d’associations
Le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance de dommages du Québec (RCCAQ) a diffusé un bulletin à ses membres expliquant que le projet de loi répondait à ses recommandations de longue date quant à l’encadrement des experts en sinistres.
Si le Regroupement l’appui, Lucie Fréchette, la présidente de l’organisme, ajoute une condition : « qu’elle concerne des agents ou des courtiers en assurance de dommages, voire des personnes ayant déjà détenu un tel certificat, ou encore des experts en sinistre inscrits à l’extérieur du Québec ». Elle a ajouté que les courtiers peuvent alors accélérer la décision lors de sinistres.
Au niveau de la fusion des Chambres, Mme Fréchette a souligné qu’il était primordial que la voix des courtiers soit pleinement représentée dans la future structure à une chambre.
Du côté de l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, les affaires publiques ont précisé être aussi en train d’évaluer le projet. Dans un courriel, l’association a précisé : « Nous sommes à évaluer les impacts de la fusion de la Chambre de la sécurité financière et de la Chambre de l’assurance de dommage au sein d’une nouvelle chambre, soit la Chambre de l’assurance. Nous serions heureux de vous en parler, mais à ce stade-ci nous analysons le tout. À première vue, ce changement devrait avoir peu d’impact sur l’assurance de personnes. »
Les organismes d’autoréglementation
Les réactions des deux organismes d’autoréglementation (OAR) laissent entendre que les deux chambres n’ont pas vu venir la création d’une seule Chambre de l’assurance.
Est-ce que les deux chambres ont été consultées au préalable ? Au cabinet du ministre, on s’est limité à répondre que les deux OAR « ont des relations privilégiées avec le ministère des Finances ». Depuis janvier 2023 à la suite de la création de l’OCRI, « les deux organismes ont eu l’opportunité de participer aux réflexions sur l’avenir de l’encadrement du secteur financier ».
L’arrivée de l’OCRI, ajoute-t-on au cabinet, a poussé le ministère à réfléchir à l’efficience et à la pertinence du modèle d’autoréglementation avec deux chambres. Les équipes du ministère et de l’Autorité ont travaillé ensemble à élaborer le projet de loi.
Aucun employé des deux chambres ne devrait perdre son emploi, souligne-t-on au cabinet du ministre. Trente jours après la sanction de la loi, la fusion aura lieu et un comité de transition sera mis en place. Trois mois après la sanction, une procédure spéciale d’élection sera mise en place pour nommer le prochain conseil d’administration.
Six mois après la sanction, une assemblée générale sera convoquée par le comité de transition. Neuf mois après la sanction, le comité de transition proposera le règlement intérieur de la Chambre de l’assurance qui devra être approuvé par l’Autorité.
Réactions prudentes
La fusion projetée est accueillie avec prudence de la part des organisations concernées.
À la Chambre de la sécurité financière (CSF), on prend acte du dépôt du PL-92 et de « l’intention du gouvernement de procéder à une fusion avec la Chambre de l’assurance de dommages », indique la directrice de communications, Geneviève Fontaine.
Elle ajoute que l’organisme mènera « une analyse approfondie de ce projet de loi et de ses implications pour nos 34 000 membres et pour la protection du public québécois est nécessaire avant de nous prononcer davantage ». La CSF réserve ses commentaires plus détaillés à l’issue de l’analyse qui sera faite de même que pour les consultations à venir en commission parlementaire.
« La Chambre a toujours priorisé le maintien de standards élevés de déontologie, de formation et de discipline des professionnels. Nous entendons collaborer de façon constructive avec toutes les parties prenantes, et contribuer au dialogue sur cette réforme afin d’assurer que les mécanismes de protection du public québécois soient préservés et renforcés », poursuit Mme Fontaine.
À la ChAD
À la Chambre de l’assurance de dommages (ChAD), sa porte-parole nous a transmis le commentaire suivant, attribué au PDG Marc Beaudoin.
« Avec le dépôt du projet de loi 92, le ministre des Finances a présenté sa vision pour l’avenir de l’encadrement du secteur financier. Pendant l’étude de ce projet, la ChAD poursuivra ses activités régulières visant l’accompagnement des 17 500 certifiés en matière de formation continue et de déontologie. »
« Une fois le projet de loi adopté par les députés de l’Assemblée nationale, la ChAD informera l’ensemble des certifiés des changements retenus et des ajustements qui pourraient concerner leur pratique. »
Le 11 avril dernier, la ChAD a publié un avis à ses membres où elle précisait ce qui suit : « Consciente que de possibles changements structurels peuvent générer de l’incertitude, la CHAD tient à vous rassurer : durant l’étude du projet de loi, la Chambre poursuit ses activités régulières visant l’accompagnement des 17 500 certifiés en matière de formation continue et de déontologie. »
« Une fois le processus législatif finalisé, la ChAD vous informera des ajustements qui pourraient concerner votre pratique », ajoutait la Chambre dans cet avis, lequel est accompagné d’une foire aux questions.
On souligne ainsi que le bureau du syndic poursuit ses opérations. Le traitement des enquêtes continue comme à l’habitude. Si le représentant est déjà visé par une enquête ou s’il est impliqué dans une enquête concernant un collègue, l’enquêteur mandaté au dossier l’informera en temps opportun du déroulement de cette enquête.
Expertise en règlement de sinistre
Parmi les changements annoncés dans le PL-92, l’article 137 vient ajouter l’article 10.1 à la Loi sur la distribution de produits et services financiers (LDPSF). On y précise que, selon des circonstances particulières et pour la période qu’elle juge opportune, l’Autorité pourra déterminer un montant maximal d’un règlement de sinistre supérieur à 5 000 $ qui peut être réglé par un employé surnuméraire d’un cabinet d’expertise en règlement de sinistre.
L’Autorité pourra aussi permettre aux personnes suivantes et aux conditions qu’elle déterminera d’agir à titre d’expert en sinistre si elle détient un certificat l’autorisant à le faire : un agent ou un courtier en assurance de dommages, une personne qui a déjà été titulaire d’un certificat d’expert en sinistre ou une personne autorisée à agir à ce titre dans une province autre que le Québec.
L’Autorité pourra rendre cette décision et la publier dans son bulletin hebdomadaire. C’est la deuxième fois en moins d’un an que le ministère des Finances modifie ainsi la LDPSF pour revoir l’encadrement de l’usage des surnuméraires par les cabinets d’expertise en règlement de sinistre. Qu’est-ce qui a changé en 2024 pour devoir faire une autre modification ?
« L’ouragan Debby a mis en évidence que l’industrie de l’assurance n’a pas la capacité d’avoir suffisamment de personnel autorisé à agir lors de grandes catastrophes pour pouvoir répondre aux clients dans un délai raisonnable, précise-t-on au cabinet du ministre des Finances. Nous souhaitons donc offrir plus de souplesse lorsque des circonstances particulières surviennent. »
Financement du courtage
Par ailleurs, l’article 139 du projet de loi vient préciser une disposition concernant le financement des cabinets de courtage. Il vient modifier l’article 83.1 de la LDPSF qui a établi la règle obligeant la divulgation par le cabinet d’un actionnaire détenant plus de 20 % des capitaux propres.
Au cabinet du ministre, on indique que ce changement a été instauré en 2018 pour que les clients soient informés des liens économiques importants d’un cabinet de courtage avec un assureur. Le texte précis de l’article 83.1 faisait en sorte que cette divulgation était obligatoire pour tout actionnaire, y compris un tiers n’étant pas assureur ou n’ayant aucun lien avec un assureur.
« La modification proposée par le PL-92 ne change pas l’essence de la règle. Elle vise simplement à en corriger la portée et à en alléger le fardeau », souligne-t-on au cabinet. On donne l’exemple d’un jeune entrepreneur qui démarre son cabinet avec l’aide de la société de placement d’un ange investisseur. Dans ce contexte, la divulgation ne revêt aucun intérêt pour les consommateurs.
*Avec la collaboration de Serge Therrien