La tendance s’est inversée dans le secteur de l’expertise en sinistre. Après avoir connu une baisse de leurs activités en 2010, les experts en sinistre doivent maintenant faire face à de nombreuses réclamations. Résultat : certains cabinets recrutent du personnel.

C’est ce qu’a fait Indemnipro. « L’entreprise a embauché une douzaine de personnes cette année, ce qui représente 12 % de l’effectif, a affirmé Richard Verreault, son vice-président principal et chef de l’exploitation au Québec en entrevue avec le Journal de l’assurance. Nous sommes encore en cours de recrutement à Montréal et Gatineau. Si je le pouvais, j’embaucherais sept experts à la sortie du cegep. »

Le cas d’Indemnipro n’est pas isolé. Crawford cherche actuellement à recruter cinq experts en sinistre dans l’Ouest du Canada, a indiqué George Kehagias, directeur des ressources humaines de l’entreprise.

Pour cause : les experts en sinistre sont très occupés en ce moment. À titre d’exemple, en 2011, les activités d’Indemnipro sont supérieures à la normale d’environ 20 %.

Une tendance qui n’a pas échappé à Lucie Fréchette, vice-présidente développement des affaires pour le Québec d’Aviva Canada. « Pour l’heure, nous avons enregistré 2 000 réclamations de plus qu’en 2010 », a-t-elle souligné.

Lorsque des assureurs tels que Desjardins assurances générales, AXA Assurances, Intact Assurance, La Capitale et Groupe Promutuel doivent faire face à de nombreuses réclamations, ils font souvent appel aux cabinets d’experts en sinistre indépendants. Ces derniers accomplissent alors l’excédent de travail dont ne peuvent se charger les experts internes des assureurs.

Autre raison qui incite les assureurs à recourir aux services d’experts indépendants : l’éloignement géographique des zones d’intervention, précise Robert Rochon, directeur technique, pertes majeures et unité d’enquêtes spéciales de Co-operators. Selon Jean-Marc Laurin, vice-président principal de Cunningham Lindsey, la complexité de certaines réclamations nécessite le recours aux experts indépendants.

À l’origine de l’actuelle hausse des réclamations, les tempêtes, les orages, les incendies, le dégel ainsi que les inondations printanières. S’ajoute à cela, les vacances estivales au sein des compagnies d’assurance. Cela apporte un supplément de travail aux experts en sinistre indépendants, ajoute Élaine Savard, présidente de l’Association des experts en sinistre indépendants du Québec (AESIQ).

2010 avait pourtant été une année particulièrement calme. Les experts en sinistre avaient connu une importante baisse des réclamations. « Le volume de réclamations de nos clients, les assureurs, était inférieur à la normale de 30 % à 40 %. Sans compter que cette baisse généralisée a duré environ six mois, c’est-à-dire du début de l’année aux pluies de fin juillet », dit Richard Verreault.

Une situation qui avait contraint certaines entreprises à mettre à pied du personnel. C’était notamment le cas chez Indemnipro. « Nous avons mis à pied quelques experts. Ils étaient moins de dix sur un total de 145, a-t-il expliqué. Nous avons demandé à nos experts ce qu’ils souhaitaient faire. Certains experts seniors avaient le choix entre plusieurs alternatives, dont travailler deux ou trois jours par semaine ou encore prendre une préretraite. Certains jeunes pouvaient opter pour une diminution salariale. »

Crawford a, elle aussi, eu recours à des mises à pied. George Kehagias n’a toutefois pas été en mesure d’estimer leur nombre. Chez Cunningham Lindsey, seul un très faible pourcentage d’employés a été mis à pied, a indiqué Jean-Marc Laurin.

Selon les experts en sinistre indépendants interrogés, les mises à pied n’ont pas uniquement touché des jeunes. Le vice-président principal et chef de l’exploitation au Québec d’Indemnipro précise d’ailleurs que son entreprise a tout fait pour conserver sa relève. Une main d’oeuvre qu’elle cherche à attirer.

Robert Rochon, lui, n’est pas de cet avis. Il soutient que les jeunes sont les premiers touchés. Aux yeux d’Élaine Savard, ces mesures sont inquiétantes. Elle déplore le fait que certains professionnels mis à pied ne reviennent pas travailler dans l’industrie. Quant à M. Rochon, il estime que les mises à pied nuisent à l’expertise au sein de l’industrie. Et donc, sa survie.

La spécialisation : un atout

Les experts en sinistre spécialisés sont prisés. C’est ce que remarque Jean-Marc Laurin de Cunningham Lindsey. Ainsi de nombreux professionnels se spécialisent dans les grands centres de Montréal, Québec et Toronto.

« Ils choisissent des spécialisations telles que transport et cargo, erreurs et omissions, responsabilité professionnelle, responsabilité municipale, pollution, responsabilité de marina, bateau, blessures corporelles, énumère Sylvie Dorion, directrice régionale de Cunningham Lindsay, responsable des succursales de Montréal et Rive-Sud. Le fait de travailler dans un grand centre permet la spécialisation car nous pouvons développer un volume d’affaire pour ces experts. »

À l’inverse, en région, il est plus difficile de se spécialiser. Les experts doivent être très polyvalents et traiter tout genre de dossier, poursuit-elle.

Que l’on soit spécialisé ou non, l’expertise en sinistre offre des perspectives de carrière intéressantes. Richard Verreault, d’Indemnipro, soutient que le besoin d’assurance pourrait s’amplifier au fil des temps. « Ils se vend plus de police d’assurance qu’avant. Cela représente un véritable potentiel pour la relève », dit-il.

Or, force est de constater que celle-ci se fait attendre. Plusieurs facteurs semblent nuire à son émergence dans l’industrie. Selon M. Verreault, le métier d’expert en sinistre reste mal connu. Et ce, malgré les efforts fournis par le Regroupement des cabinets de courtage d’assurance du Québec (RCCAQ) et par la Coalition pour la promotion des professions en assurance de dommages, continue-t-il. Un point de vue que partage Elaine Savard, de l’Association des experts en sinistre indépendants du Québec.

Richard Verreault d’Indemnipro observe aussi que de nombreux jeunes professionnels préfèrent s’orienter vers le courtage que vers l’expertise en sinistre. La profession pâtirait-elle d’une mauvaise réputation? Il répond par la négative. Il croit, au contraire, qu’elle a une bonne image. Quant à Mme Savard, elle a le sentiment que les jeunes font d’autres choix de vie. Certains ne souhaitent peut-être pas travailler après 17 heures, dit-elle.

Selon M. Verreault, la génération Y possède des qualités certaines. Ce sont des jeunes dynamiques et motivés qui ont le goût d’apprendre. De plus, ils sont bien formés, a-t-il poursuivi.