Le fisc n’a toujours pas tranché dans quelles situations il considérera qu’une police maladies graves à primes partagées a appauvri une société pour enrichir la personne-clé assurée. Les conseillers qui continuent de vendre cette solution marchent sur des œufs.

La police à primes partagées en assurance maladies graves se destine à protéger la société au cas où une personne-clé, souvent l’actionnaire principal, devait s’absenter en cas de maladie. En vertu de cette solution financière, la société et l’employé détiennent l’assurance maladies graves en copropriété. La société paie les primes de l’assurance qu’elle touchera si l’employé-clé est malade. L’employé-clé paie la garantie de remboursement des primes, qu’il touchera s’il n’a pas été malade au terme de la période prévue à la garantie.

S’il survient, ce remboursement aura-t-il appauvri la société, pour mieux enrichir la personne-clé ? La question demeure en suspens depuis plusieurs années. Aucune jurisprudence sur laquelle se fonder. Aucune décision de l’Agence du revenu du Canada (ARC). Rien qui permettrait de trancher sur ce qui crée ou non un appauvrissement de la société. Rien pour rassurer la personne-clé, à qui l’ARC pourrait demander des comptes.

Les conseillers qui se spécialisent auprès des entrepreneurs usent de prudence devant leurs clients, et les fiscalistes des assureurs n’osent s’avancer top loin. Appelé à commenter sur l’état de la fiscalité en matière de polices à primes partagées, la fiscaliste Jocelyne Gagnon a répondu au Journal de l’assurance que la situation n’a pas changé depuis 2013, année où Conference for Advanced Life Underwriters (CALU) a publié un article à ce sujet.

Vice-présidente des services de planification pour le Québec chez Conseils PPI, Mme Gagnon a ajouté que les conseillers spécialisés auprès des entreprises continuent de souscrire ces polices. « Nous croyons que lorsque c’est bien fait, il n’y a pas de problèmes. Le conseiller doit mettre ses clients au courant d’un risque potentiel de cotisation de la part de l’ARC, et rédiger une entente en bonne et due forme. »

Prévenir le pire

La fiscaliste indique la direction à prendre pour prêter le moins possible flanc à une apparence d’appauvrissement de la société. « Il y a des extrêmes. Faire souscrire une protection de personne-clé avec un cout d’assurance jusqu’à 100 ans est risqué, car elle ne travaillera pas jusqu’à 100 ans. Il vaut mieux prendre une protection temporaire qui prend fin à 75 ans. Vous ne devez pas choisir une couverture qui n’est pas appropriée à la période de protection prévue de la personne clé. »

La prime d’assurance que paiera une société pour une couverture qui prend fin à 100 ans sera plus couteuse qu’une couverture de 75 ans. Toutes les précautions pourraient ne pas suffire. Publié en 2006, le plus récent bulletin d’interprétation fiscale de l’ARC laisse l’industrie perplexe depuis plus de 10 ans. Selon le bulletin, l’ARC pourrait conférer un avantage imposable à l’actionnaire, quelle que soit la valeur marchande de l’avenant de remboursement des primes. Ainsi, une police temporaire 75 ans ne garantira pas que l’ARC conclut qu’il n’y a pas appauvrissement, même si elle est moins couteuse pour la société de l’actionnaire qu’une T100.

Dans l’éventualité d’une visite de l’ARC, PPI recommande dans un document d’information à ses conseillers de bien documenter la transaction entre l’actionnaire et son entreprise. « En plus de rédiger une convention, les parties impliquées devraient conserver une copie des avis de prime, des factures faites par l’actionnaire à son entreprise ainsi que des chèques de remboursement », peut-on lire.

Les articles spécialisés sur la question sont rares. Publié en 2013 par Conference for Advanced Life Underwriting (CALU), un article du directeur de la planification fiscale et de l’assurance de Financière Sun Life, Stuart Dollar, traite de certains arrangements en copropriété que l’auteur considère « moins risqués que d’autres ».

Stuart Dollar prend l’exemple d’une police temporaire 10 ans, avec renouvellement. L’actionnaire prend sa retraite 20 ans après l’émission de la police, et quitte la société. L’ARC ne conclura pas nécessairement que la société s’est appauvrie, même si l’actionnaire touche un remboursement supérieur aux primes qu’il a payées, croit-il.

« La société perd la couverture d’assurance, mais n’en a plus besoin, et elle cesse d’en payer les primes. De plus, la valeur de cette couverture a été consommée par la société de la façon la plus économique. »

L’interprétation pourrait être toute autre dans le cas d’une police maladies graves payable en 10 ans et qui couvre l’actionnaire pendant la vie. Cinq ans après la fin du paiement des primes, l’actionnaire demeure assuré, mais les parties décident de mettre fin à la police. L’actionnaire continue de travailler dans la société. « Comme l’actionnaire prévoit continuer de travailler plusieurs années, le besoin d’une assurance demeure. Résilier la couverture pourrait alors être réputé avoir appauvri la société, et conféré un avantage à l’actionnaire », suggère M. Dollar.

Il précise que l’ARC tirera ses conclusions après avoir examiné les faits et les circonstances particulières de la convention entre la société et son actionnaire. « Déterminer s’il y a avantage conféré à l’actionnaire dépendra au moins autant des faits que de la loi, écrit-il. En fin de compte, la seule certitude semble être que les clients doivent recevoir des conseils de la part d’un fiscaliste avant de créer un arrangement avec une police de maladies graves détenue en copropriété. »

Plusieurs conseillers se demandent ce qui adviendra lorsque les assurés de ces polices deviendront admissibles à un remboursement des primes, ce qui survient généralement 15 ans après l’émission. Comme les premières polices ont été émises au début des années 2000, le moment de vérité approche.