La société Zurich Compagnie d’assurance SA a vu sa requête être rejetée. L’assureur demandait de ne pas être tenu par son obligation de défendre la responsabilité de l’une des sociétés visées par l’une des actions collectives dans le dossier de la pyrrhotite. L’assureur désirait aussi ne pas avoir à payer sa part de la facture du règlement de ce litige civil, et il a aussi échoué à cet égard.
Les avocats Bernard Larocque et Jonathan Lacoste-Jobin, associés du cabinet d’avocats Lavery, ont attiré l’attention du Portail de l’assurance sur ce jugement*.
La décision a été rendue par la Cour supérieure le 3 juillet 2023 par le juge Éric Hardy, du district de Trois-Rivières. Le jugement a toutefois été porté en appel par l’assureur, précise Me Jobin. D’autres requêtes ont été entendues durant l’automne dernier et la Cour d’appel a accepté d’entendre le pourvoi.
La pyrrhotite est un sulfure de fer qu’on trouve dans un agrégat utilisé dans la composition du béton. Le produit a été utilisé pour construire les fondations de plusieurs milliers de résidences, principalement en Mauricie.
Un premier jugement phare a été rendu en 2014, et il a été confirmé par la Cour d’appel du Québec en 2020. De nombreux professionnels, des sociétés de l’industrie de la construction et la firme d’ingénierie SNC-Lavalin (désormais nommée AtkinsRéalis) ont été poursuivis, tout comme leurs assureurs.
Quelque 70 % de la responsabilité a été attribuée au géologue Alain Blanchette, qui a cautionné l’utilisation de ce granulat chez SNC-Lavalin, et 30 % aux fournisseurs et sous-traitants.
Dans le jugement rendu en juillet 2023, le litige s’inscrit dans la deuxième vague des réclamations adressées à SNC-Lavalin, à Béton Laurentide, qui a fourni le béton, et à l’assureur responsabilité civile de ce dernier, Zurich. L’action collective est portée par la demanderesse Mélissa Rioux.
Cette deuxième vague regroupait 650 réclamations totalisant 102 millions de dollars (M$). Le dossier s’est finalement réglé pour une somme de 67,5 M$ et le règlement a été approuvé par le tribunal. Quelque 90,21 % de ce règlement a été payé par SNC-Lavalin.
Béton Laurentide et Zurich n’ont pas participé au règlement et n’ont pas contribué au paiement de cette somme. La firme de génie-conseil estime ainsi avoir acquitté la part de Zurich jusqu’à concurrence de 8 131 798 $. Le tribunal lui donne raison.
Demande Wellington
Le premier volet de la décision de la Cour supérieure est la demande de type Wellington par laquelle Béton Laurentide cherche à confirmer son droit d’être défendue par son assureur. La société lui réclame le tiers de ses frais de défense, qui s’élèvent à 3,6 M$. Zurich soumet de nombreux motifs pour contester cette demande.
Gestion Bellemarre a été couverte la première fois par Zurich à partir du 1er décembre 2009, ainsi que plusieurs de ses sociétés affiliées, incluant Béton Laurentide. Curieusement, cette dernière n’apparaissait pas dans la liste des sociétés assurées au renouvellement, mais elle réapparaît dans les polices émises de 2011 à 2017.
Le tribunal rejette ce motif en estimant que cette erreur n’est pas opposable à Béton Laurentide. S’il y a eu erreur, elle est attribuable au courtier, qui agissait alors comme mandataire de l’assureur. Béton Laurentide apparaît d’ailleurs toujours dans la police « umbrella » de Zurich en 2010-2011.
Si l’assurée avait voulu l’exclure sa filiale de la couverture en responsabilité civile, il aurait fallu le faire par un avenant, comme le prévoit l’article 2405 du Code civil du Québec. Aucun avenant au contrat n’a été produit à cet égard.
Les frais
Les deux autres assureurs de Béton Laurentide, Intact/AXA et Northbridge/Chartis ont accepté de participer aux coûts de sa défense pour les réclamations de la deuxième vague et ont même payé plus que leur part. Zurich plaide que même si le tribunal devait conclure qu’elle aurait dû défendre sa cliente, le remboursement du tiers de ses frais de défense est exagéré.
Le tribunal donne en partie raison à l’assureur, mais il estime que l’assurée est toujours en droit de réclamer la part des honoraires de l’avocat qui n’a pas encore été payée, soit 6,7 %, ce qui représente une somme totalisant 173 468,87 $, pour la période allant du 1er janvier 2015 au 31 décembre 2022.
Nullité du contrat
L’assureur allègue la nullité ab initio du contrat. La preuve à soumettre par l’assureur pour l’obtenir est bien circonscrite par la jurisprudence. La Cour d’appel a écrit, dans sa décision sur le jugement phare, que si l’assureur « veut démontrer qu’il n’aurait pas accepté le risque s’il avait connu les circonstances en cause, il doit non seulement faire la preuve que lui-même n’aurait pas accepté le risque, mais qu’également un assureur raisonnable ne l’aurait pas accepté ».
Au moment où Zurich accepte d’assurer Gestion Bellemarre et ses sociétés affiliées en décembre 2009, le risque que représente la pyrrhotite dans le granulat était connu depuis quelques années. Des réclamations avaient déjà été faites auprès des organismes de représentation des constructeurs immobiliers cette même année.
Selon le tribunal, Zurich désirait assurer le risque de transport, car la majeure partie de la prime couvrait une flotte de véhicules. Le souscripteur confirme que les bétonnières n’étaient pas une classe de risques ciblée par l’assureur.
Béton Laurentide a fait part à l’assureur d’une vingtaine de réclamations en lien avec la pyrite ou des problèmes de fissures dans les solages ou fondations. Une exclusion relative à la pyrite a d’ailleurs été prévue au contrat.
Dans son témoignage, le souscripteur reconnaît ne pas avoir demandé la copie des mises en demeure ou demandes introductives d’instance par lesquelles les réclamations avaient été faites auprès de la bétonnière. Il n’en discute pas à l’interne chez l’assureur ni avec le courtier.
Au procès, on montre au souscripteur des états financiers qu’il n’avait jamais vus auparavant, où l’on voit qu’au 30 novembre 2011, l’entreprise était visée par 250 réclamations liées à la pyrite réactive variant de 25 000 $ à 250 000 $.
Le souscripteur admet que son « niveau de tolérance au risque aurait été changé » s’il avait vu ces documents. Le responsable de l’inspection des risques de l’assureur ne constate rien lors de sa visite chez Gestion Bellemarre.
Le tribunal souligne que Zurich faisait partie des assureurs visés par la première vague des procédures concernant la pyrrhotite dès janvier 2011. Le géologue Blanchette a témoigné en septembre 2011 pour parler de son rapport de novembre 2007 où il déconseillait l’utilisation de granulats riches en pyrite dans la fabrication du ciment. En décembre 2011, l’assureur renouvelle la police de l’assurée sans en modifier le contenu.
Le jugement phare de juin 2014 confirme que le problème affectant le granulat de la carrière où s’approvisionnait Béton Laurentide en est un de pyrrhotite et non de pyrite. Malgré cela, Zurich renouvelle la police jusqu’à la fin de 2017 sans en modifier le contenu.
« Un assureur ne peut laisser passer les années pour ensuite plaider la nullité de ses polices sur la base de renseignements qui étaient à sa connaissance depuis longtemps ou qu’il aurait pu facilement découvrir en raison de leur notoriété », lit-on au paragraphe 129 du jugement.
Autres arguments
Zurich oppose à l’assurée la clause de connaissance antérieure contenue dans ses polices. Le tribunal est d’avis que l’assureur ne peut le faire en et indique que cette clause n’a pas la portée que Zurich lui donne.
Cette clause signifie simplement que pour être couverts, les dommages matériels doivent survenir pendant la période d’assurance et ne pas avoir été connus de l’assurée avant l’entrée en vigueur du contrat, précise le tribunal.
Zurich plaide que le seul fait que l’assurée était au courant d’un problème affectant son béton avant l’entrée en vigueur de la première police suffit pour lui permettre de nier la garantie. « Ce n’est pourtant pas ce que dit sa police », indique la Cour supérieure, qui rejette cet argument.
L’application de l’exclusion par l’assureur concernant la pyrite est aussi rejetée par le tribunal. Le choix des mots appartenait à Zurich. La compagnie d’assurance aurait très bien pu exclure de sa couverture le risque d’une défectuosité du granulat, peu importe sa nature. Elle a plutôt choisi de le faire de façon très spécifique en ne s’intéressant que très peu aux réclamations qui lui avaient été divulguées.
Zurich se plaint de ne pas avoir promptement reçu un avis de sinistre. De tels avis ont été donnés par l’assurée à son courtier en décembre 2012, en mai 2013 de même qu’en janvier et février 2014.
Les premiers avis de sinistres reçus par l’assureur datent du 17 juillet 2013, soit près de neuf années avant la transaction qui a réglé la deuxième vague de réclamations. L’assureur ne prouve pas son préjudice comme le prescrit le Code civil. Le tribunal rejette aussi ce moyen.
L’argument de l’assureur concernant l’obstruction faite par l’assurée et SNC-Lavalin est aussi rejeté par le juge Hardy. Toutes les décisions de gestion des procédures ont été prises par un juge de la Cour supérieure. L’assureur a eu plusieurs occasions de s’adresser à la Cour d’appel si elle considérait ces décisions comme étant déraisonnables.
Le calcul
Enfin, Zurich avançait que l’assurée et SNC-Lavalin ont admis que les réclamations adressées à Béton Laurentide n’étaient pas couvertes par les polices de l’assureur. Un chiffrier a été créé pour déterminer la contribution de toutes les parties impliquées, avec la liste des réclamants et les dates de coulée des fondations, avec un tableau des assureurs impliqués qui tient compte de leur couverture respective.
La fiabilité du chiffrier fait l’unanimité de toutes les parties défenderesses, sauf chez Zurich, dont la position est fluctuante. Dans la section du chiffrier consacrée à Béton Laurentide, on peut lire que Zurich n’est présente au risque que pour les périodes 2009-2010 et 2010-2011 et que sa couverture est de 0 $. L’assureur niait la couverture.
Le tribunal rejette ce moyen en soulignant l’explication toute simple fournie par l’expert en sinistre d’Intact. Tout montant d’assurance à côté de son nom aurait faussé le calcul du chiffrier, explique l’expert en sinistre. La seule façon de calculer la contribution des assureurs ayant déposé leurs polices était d’indiquer « 0 $ » à côté du nom de Zurich.
La part de Zurich
Le litige tranché par la Cour supérieure comportait deux volets. Le deuxième volet concerne le recours récursoire de SNC-Lavalin, qui réclame de Zurich la part du règlement. L’assureur contestait à la fois cette réclamation et la proportion qui lui est attribuée.
Le tribunal condamne néanmoins Zurich à rembourser la somme de 8 131 798 $ à SNC-Lavalin. Cette dernière est subrogée dans les droits des créanciers, et l’obligation de réparer le préjudice causé par la faute de Béton Laurentides est solidaire.
La décision de conclure la transaction était raisonnable. Tous les défendeurs ayant conclu le règlement ont été représentés par des avocats aguerris, et ils ont d’ailleurs permis de régler à 67,5 M$ des réclamations qui totalisaient 102 M$. Le chiffrier utilisé a été jugé comme un outil fiable et éprouvé.
« Zurich ne peut s’être tenue à l’écart des pourparlers de règlement comme elle l’a fait pour ensuite remettre en question la transaction conclue alors que celle-ci possède tous les attributs d’un compromis raisonnable », conclut le tribunal.
* Il s’agit d’un des litiges qui a suscité leur intérêt dans le cadre de leur Revue annuelle sur la jurisprudence en assurance de dommages. L’activité de formation était offerte le 19 mars dernier. Les deux procureurs soulignent la contribution de Philippe Juhos, stagiaire à la recherche, à la préparation de leur cours.