À la suite de la publication du règlement concernant les frais de défense, le 20 avril dernier dans la Gazette officielle du Québec, le Portail de l’assurance a sollicité des réactions auprès des cabinets spécialisés en droit des assurances.
Le projet de règlement sur les catégories de contrats d’assurance et d’assurés pouvant déroger aux règles des articles 2500 et 2503 du Code civil du Québec avait été l’objet d’une consultation publique tenue l’automne dernier. Il aura fallu près de six mois au ministère des Finances du Québec pour publier la version définitive du règlement, passablement allégée comparativement au projet soumis à la consultation.
Chez Delegatus
Au cabinet Delegatus, Me Nathalie Durocher nous a transmis ses commentaires par courriel. « Le Règlement édicte un nouvel encadrement qui a pour effet d’assouplir substantiellement les règles applicables à l’obligation de défendre et d’assumer les frais de défense des assureurs au-dessus des limites de garanties, qui prévalaient sous l’ancienne version de l’article 2503 C.c.Q., en accordant des exemptions pour certaines catégories de contrats d’assurance et catégories d’assurés. »
Selon Me Durocher, « le nouvel encadrement réglementaire aura un impact majeur sur le marché de l’assurance, notamment, en matière d’assurances couvrant la responsabilité civile des grandes sociétés et entreprises au Québec ».
L’avocate précise que le règlement « s’applique à l’égard des contrats d’assurance de la responsabilité civile des grandes entreprises et assurés sophistiqués ayant les reins assez solides pour assumer les frais de défense en cas de litige d’envergure, au-delà des limites de l’assurance accordée par une police de responsabilité civile ».
Me Durocher ajoute que « la protection d’ordre public offerte aux termes des articles 2500 et 2503 C.c.Q. aux particuliers et aux petites et moyennes entreprises québécoises, ainsi qu’aux tiers lésés, demeure ».
« Il s’agit d’une avancée importante et d’un vent de fraîcheur pour l’industrie de l’assurance aux prises avec des enjeux majeurs de tarification et de souscription. Nous voyons l’application de ce règlement de façon positive, comme une initiative intéressante d’assouplissement et un début d’harmonisation des règles applicables à l’assurance de la responsabilité civile avec celles qui s’appliquent dans les autres provinces canadiennes », ajoute Me Durocher.
« Il s’agit également d’une démonstration que le gouvernement est à l’écoute des besoins et des enjeux de l’industrie de l’assurance au Québec, dans le but de favoriser et de faciliter l’accès à l’assurance aux grandes entreprises et sociétés désirant poursuivre leurs activités au Québec », conclut-elle.
Chez Lavery
Au cabinet Lavery, un billet de blogue publié le 25 avril met en contexte les changements apportés au Code civil sur la question des frais de défense. Le texte a été signé par Me Dominic Boisvert, associé, et Daphné Pomerleau-Normandin, étudiante.
Les auteurs notent que les articles 1 et 2 du règlement ont été modifiés pour préciser l’époque à laquelle l’assuré doit remplir les conditions visées par ces articles, soit « au moment de la souscription ».
« On dénote dans les modifications au projet de règlement une volonté de simplifier son application. À ce sujet, le retrait de l’article 8 sera sans doute bien reçu. Il demeure néanmoins que le Québec continue de faire figure d’exception au principe de la pleine liberté contractuelle. Ce faisant, les petites et moyennes entreprises de certains secteurs pourraient continuer à subir les conséquences du durcissement du marché de l’assurance au Québec, notamment celles du secteur manufacturier qui exportent aux États-Unis », notent les auteurs du bulletin.
Le cabinet conclut en notant que le règlement actuel pourrait être appelé à évoluer dans le temps. En adoptant la loi 82, le gouvernement a donné le droit au ministère des Finances de modifier au besoin son règlement pour déterminer les catégories de contrats et d’assurés qui peuvent déroger aux règles établies aux articles 2500 et 2503 du Code civil.
Chez Norton Rose Fullbright
Au cabinet Norton Rose Fullbright, Me Charles Foucreault travaille avec André Legrand, lequel a déjà commenté le problème des frais de défense dans les pages du Journal de l’assurance. Dans l’entretien qu’il nous a accordé, Me Foucreault constate lui aussi la simplification du processus de qualification des catégories de contrats et d’assurés qui pourront désormais déroger aux règles du Code civil.
« L’exception prévue pour les sociétés ayant des activités à l’extérieur du Canada, cela a complètement disparu. La notion concernant le choix de l’avocat a aussi été éliminée », dit-il.
Ces éléments avaient suscité beaucoup de commentaires de la part du milieu des affaires dans le cadre de la consultation sur le projet de règlement. « Le gouvernement a entendu les préoccupations et a simplifié son projet pour donner une plus grande liberté aux cocontractants d’un contrat d’assurance, lorsqu’évidemment les premiers critères sont remplis », dit-il.
Selon Me Foucreault, ce changement élargira le marché de l’assurance en responsabilité civile et donnera plus de liberté contractuelle aux assurés ciblés. « C’était la base de tout le processus et le gouvernement ayant simplifié les barrières qui existaient dans le projet, il semblerait que l’objectif soit en voie d’être atteint », dit-il.
La règle de base édictée par l’article 2500, qui prescrit que les sommes de la garantie offerte soient entièrement affectées au paiement de tiers lésés, est maintenue. Cela inclut aussi les professionnels, comme les ingénieurs et les avocats, qui sont tenus de se doter d’une assurance particulière qui couvre un montant minimal de couverture.
Pour ces professionnels, la dérogation ne sera pas possible, parce que le législateur « ne veut pas que cette limite puisse être érodée par des frais de défense », indique Me Foucreault en précisant que cet aspect a été maintenu à l’article 5 du règlement.
L’élimination du premier alinéa de l’article 8 du projet de règlement est aussi une bonne chose, selon l’avocat de Lavery. « Ça disait que le pourcentage des frais de défense qui ne pouvaient être dédiés au dédommagement ne pouvait excéder 50 % du montant total de la limite. Ça venait beaucoup compliquer la règle qui avait été mise en place », dit-il.
« La simplification faite par le législateur, en retirant cet article, est selon nous souhaitable notamment pour sa substance, mais aussi parce que ça facilite l’application du règlement et le rend compréhensible pour tout le monde dans l’industrie », ajoute Charles Foucreault.
Le choix de l’avocat
Concernant le choix de l’avocat qui était prévu à l’article 7 du projet de règlement, qui n’a pas été retenu non plus, Me Foucreault précise qu’en droit des assurances, la règle générale est que le droit du choix de l’assureur appartient a priori à l’assureur. Il rappelle que certains contrats en responsabilité civile des administrateurs et dirigeants (D&O) excluent les frais de défense. L’élimination de l’article 7 créait une ambiguïté qui a été levée. Selon lui, dans plus de 95 % des cas, le choix de l’avocat par l’assureur ne cause aucun problème.
Le nouveau règlement aura pour effet d’inciter les assurés à s’impliquer davantage dans leur défense, selon Charles Foucreault. « Comme la limite d’assurance pourra être érodée par les frais d’avocat, les assurés vont évidemment garder un œil un peu plus aiguisé sur les factures, les honoraires, etc., car cela affectera directement leur couverture d’assurance pour le reste de l’année », dit-il.
« Avant, lorsque ces dépenses ne venaient pas éroder la limite, les assurés pouvaient confier cela entièrement à leur assureur, savoir qu’ils étaient bien défendus et portaient beaucoup moins d’attention aux frais d’avocat, c’est normal », précise-t-il.
Les 5 M$
Pour les catégories d’assurés qui auront la capacité de signer un contrat qui déroge aux règles du C.c.Q, le règlement prévoit que la couverture totale de tous les contrats en responsabilité civile souscrits par cet assuré soit au moins de 5 M$. Il est probable que cette règle soulèvera aussi des interrogations, selon le procureur du cabinet Lavery.
Une grande variété de polices comprend une couverture en responsabilité civile. « Est-ce que tous ces montants-là sont additionnés pour arriver à 5 M$ ? Ou bien est-ce juste la classique police en RC, qu’on appelle la CGL, qui elle doit être de 5 M$ ? Ce n’est pas évident en lisant le texte du règlement », dit-il.
« Personnellement, j’ai été surpris de la simplification du processus qui a été mis en œuvre par le législateur entre le règlement que nous avons eu ce 20 avril et le projet de l’automne dernier. On a bien hâte de voir comment l’industrie va réagir, et aussi les tribunaux, même si ce n’est pas demain matin qu’on verra l’impact, ce n’est que dans quelques années qu’ils auront à se prononcer là-dessus », conclut-il.