La nouvelle carte des zones inondables produite par le ministère de l’Environnement n’est pas encore publiée, mais elle suscite déjà de fortes inquiétudes pour les propriétés qui y sont potentiellement installées. Des parlementaires veulent la tenue d’une consultation publique consacrée à cet enjeu et souhaitent que des assureurs soient invités à venir s’y exprimer. 

Desjardins a lancé le bal à propos des résidences situées en zones inondables en février dernier en cessant de financer des maisons qui se trouvent dans des zones à risques 0-20 ans avant même que la nouvelle édition de la carte soit diffusée. Le geste de l’assureur a créé un premier mouvement d’affolement chez des résidents affectés.

« Là où ça fait le plus mal, c’est pour ceux qui veulent vendre leur résidence située dans une zone jugée à risques : leur valeur a chuté énormément », a commenté le président de la Fédération québécoise des municipalités (FMQ), Jacques Demers, en entrevue au Portail de l’assurance

Or, le nombre de cas va grimper avec la parution de la nouvelle cartographie que le ministère de l’Environnement est en train de finaliser. Sa parution est toujours prévue ce printemps et les règlements pourraient commencer à s’appliquer à l’automne 2024.

Des zones inondables étendues 

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis la dernière révision de la carte des zones inondables il y a 20 ans. En plus des inondations printanières, des orages violents peuvent entraîner des débordements massifs qui endommagent beaucoup de maisons comme l’a vécu Baie-Saint-Paul en 2023. C’est sans compter l’érosion des berges et les effets de la montée des eaux sur le littoral, le long du fleuve ou autour de la péninsule gaspésienne et des Iles de la Madeleine.

Le ministère de l’Environnement tiendra toujours compte de la fréquence des inondations et chose nouvelle, de la profondeur d’eau atteinte. L’impact des changements climatiques sera également incorporé à l’analyse, ce qui n’est pas le cas des cartes actuelles, a-t-on indiqué au Portail de l’assurance

« Bien que pour le moment, il est impossible de présumer le résultat pour un secteur en particulier, on peut s’attendre que, dans la majorité des cas, les zones inondables soient plus étendues à la suite de leur nouvelle délimitation », reconnaît-on au ministère de l’Environnement. 

Bernard Deschamps, chercheur en étude de risque d’inondation et étudiant au doctorat en sciences de l’environnement à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), rappelle au Portail de l’assurance que 54 % des sites inondés en 2017 et 2019 étaient situés à l’extérieur des cartes de zones inondables existantes. Il s’attend, avec la publication des nouvelles cartes, que de vastes portions du territoire autrefois considérées peu ou pas sujettes à des inondations se retrouvent dans des zones à risques. 

Selon les informations dont il dispose, les anciennes grilles 0-20 ans ou 20-100 ans vont disparaître. Elles seront remplacées par une nouvelle grille, plus facile à comprendre pour les citoyens : risque très élevé, élevé, moyen ou faible.

Toutefois, ajoute cet expert, la carte ne tiendra pas compte des risques d’inondations par ruissellement causées par des pluies diluviennes comme il s’en produit maintenant chaque été, ce type d’événements étant imprévisible. 

Un petit cataclysme en vue 

Des gens sont déjà inquiets des mauvaises nouvelles qui les attendent avec la future cartographie, dit Jacques Demers. Du jour au lendemain, la résidence qui représentait la plus grande valeur de plusieurs ménages ne vaudra plus rien alors que certains projetaient de la vendre pour leur retraite.

« La future cartographie pourrait entraîner une dévaluation de la valeur marchande des bâtiments résidentiels, une plus grande difficulté à accéder à des assurances, un accès limité au crédit hypothécaire, et même rendre la vente de la résidence impossible. Le propriétaire risque de se retrouver pris en otage dans la zone inondable », anticipent Bernard Deschamps et son collègue chercheur en hydrologie Michel Leclerc, dans un article paru dans La Conversation

Le Québec s’est développé en grande partie le long des cours d’eau. Cette future cartographie pourrait avoir l’effet d’un petit cataclysme, car elle rendra encore plus de propriétés riveraines inéligibles à des prêts hypothécaires et aura un impact direct sur leur couverture d’assurance.

M. Demers dit avoir hâte de prendre connaissance de cette prochaine carte pour en mesurer les impacts et voir l’aide et la compensation que pourront recevoir les propriétaires de maisons touchées. 

Cette future cartographie aura aussi des effets positifs : les acheteurs seront mieux outillés avant d’acquérir une résidence riveraine, sachant son niveau de risques. On saura aussi quels terrains ou quelles maisons pourront faire l’objet de travaux pour rendre l’endroit plus sécuritaire.

Des petits ouvrages de protection de quelques milliers de dollars suffiront parfois pour protéger des résidences classées en zones inondables de la montée des eaux. Le gouvernement a déjà prévu des centaines de millions de dollars pour faire face aux effets des changements climatiques. Pour d’autres maisons trop à risques, il y aura une autre avenue, la délocalisation

Le président de la FQM s’attend à des contestations de la part de citoyens après la publication des futures cartes quand ils verront qu’ils ont été classés dans des zones inondables. « C’est tout à fait humain, dit M. Demers. Quand des gens vont réaliser que leur actif principal ne vaut presque rien, ce sera un coup dur. Il faudra penser à des programmes pour les aider. » 

Demande de commission parlementaire 

Un autre très grand impact est appréhendé : des élus à Québec craignent que des assureurs cessent d’offrir des couvertures pour des résidences situées dans des zones jugées à risques, nous a confirmé une attachée de presse du Parti libéral du Québec (PLQ), Catherine Dostie

Le PLQ a demandé au gouvernement de tenir une commission parlementaire afin que les élus soient informés du processus de révision qui est en marche et de permettre à des groupes, dont le Bureau d’assurance du Canada (BAC), de s’y exprimer. 

La demande de mandat d’initiative devant la Commission de l’aménagement du territoire est venue des députées libérales Virginie Dufour et Michelle Setlakwe.

Le Bureau d’assurance du Canada serait prêt à y s’y faire entendre. « Le BAC a déjà indiqué au ministère de l’Environnement son intention de participer aux consultations, quelle que soit la forme qu’elles prendront », a indiqué au Portail de l’assurance son porte-parole, Pierre Babinsky.

Selon lui, une cartographie actualisée qui représente les risques d’inondation de manière réaliste sera utile, tant pour les citoyens que pour les municipalités, les assureurs et le gouvernement. 

« L’appréciation du risque d’inondation faite par les assureurs vise à décider si cette protection peut être offerte ou non et à déterminer la prime appropriée pour cet avenant, précise-t-il. Elle ne vise pas à diminuer les autres protections offertes par la police d’assurance habitation. Il est malheureux de voir que l’idée qu’une maison en zone inondable ne soit pas assurable est encore largement et faussement véhiculée. »

Des craintes pour les propriétaires  

Entretemps, les deux représentantes du Parti libéral s’inquiètent du sort qui sera réservé aux propriétaires de résidences qui se verront classées en zone inondable. 

« Inévitablement, les assureurs et les prêteurs hypothécaires réagiront en fonction de ces nouvelles cartes et c’est pourquoi l’opposition officielle propose que le gouvernement informe les citoyens et les élus des changements à venir avant d’adopter un règlement pour qu’ils puissent ainsi se préparer en conséquence », ont expliqué par voie de communiqué Virginie Dufour et Michelle Setlakwe, qui disent craindre que plusieurs personnes perdent leur propriété. 

Les propriétaires, ajoutent-elles, se sont installés en toute bonne foi dans des secteurs où les risques de débordements des cours d’eau étaient, à l’époque, peu ou pas du tout existants. Ce sont des victimes directes des changements climatiques, mais les citoyens ne peuvent être laissés seuls devant ce défi. 

Bernard Deschamps, qui parle de panique chez les riverains touchés, s’attend à des répercussions sociales et politiques importantes après la publication de la nouvelle cartographie. Il se dit en faveur de sa diffusion, mais il souhaite que des solutions soient proposées avant que les règlements ne soient diffusés dans quelques mois afin d’atténuer les impacts et de laisser aux gens le temps de réagir et de s’adapter à leur nouvelle réalité.