Le Bureau d’assurance du Canada (BAC) a transmis un mémoire au ministre des Finances du Québec Éric Girard. Il demande au gouvernement de maintenir la réforme de 2018 en matière de copropriété.
Le BAC a produit ce mémoire en février après avoir pris connaissance des récriminations du Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec (RGCQ) et de l’Association québécoise des gestionnaires en copropriété (AQGC), rapportées par le Portail de l’assurance.
Le BAC s’inquiète aussi de l’ouverture faite par le ministre concernant une nouvelle modification à l’article 1074.2 du Code civil du Québec. Cette disposition a déjà été amendée en mars 2020, moins de deux ans après l’adoption de la réforme imposée par la loi 141.
« Il faut laisser un peu de temps aux différents acteurs pour s’adapter aux changements importants qui ont été apportés », indique Pierre Babinsky, directeur des communications et des affaires publiques au BAC. Même si les syndicats voient des désavantages comparativement à la situation antérieure, « il n’est pas justifié d’apporter des changements aussi rapidement », insiste le BAC dans l’introduction de son mémoire.
M. Babinsky reconnaît que le durcissement des règles de souscription affecte les syndicats de copropriétaires comme tous les autres segments de l’assurance des entreprises. La qualité de construction déficiente et le manque d’entretien chronique du parc immobilier des copropriétés ont provoqué une hausse de la sinistralité. Des assureurs ont fui le marché de la copropriété faute de rentabilité. La réforme de l’encadrement proposée par la loi 141 visait à corriger cette situation.
Les syndicats doivent désormais faire de l’entretien préventif des immeubles et se doter de fonds de prévoyance. Éventuellement, la diminution des réclamations permettra de rendre le secteur plus attrayant pour les assureurs existants, voire de nouveaux assureurs, selon le porte-parole du BAC.
« Tant que les syndicats n’accepteront pas d’assumer leur obligation d’assurer l’immeuble en entier comme prévu par la loi, il y aura des irritants pour tous les intervenants », écrit le BAC dans son mémoire.
« Les règles en vigueur à l’heure actuelle sont cohérentes; y apporter des modifications “à la pièce” aura pour effet de déplacer le problème ou d’en créer de nouveaux. »
La présomption de faute
Avant le changement apporté à l’article 1074.2, le syndicat qui réclamait le paiement de la franchise à l’un de ses membres devait faire la preuve qu’il y avait eu faute de la part de l’assuré.
Désormais, le syndicat doit écrire au copropriétaire pour lui faire part de sa requête reliée aux dommages non couverts par la franchise. La responsabilité civile du copropriétaire est alors engagée et l’assureur doit s’occuper de la réclamation. L’assureur évalue la demande et détermine s’il doit payer l’indemnité en vertu du contrat de son client.
Si l’assureur conclut à l’absence de faute de la part de son client ou à la faute d’une tierce partie, les discussions ont lieu avec le gestionnaire. Parfois, le litige doit être tranché par un tribunal.
Le BAC réfute l’engorgement des tribunaux dont parle le RGCQ. « L’assureur n’ira pas devant le tribunal s’il sait qu’il perdra », insiste-t-il. La Cour des petites créances offre déjà trois heures de médiation gratuite, rappelle le Bureau dans son mémoire.
Des solutions
Le BAC suggère d’explorer certaines avenues non législatives avant d’apporter une nouvelle modification à l’article 1074.2. Les syndicats devraient prévoir dans leur règlement interne ou la déclaration de copropriété une disposition qui oblige le copropriétaire à collaborer avec les administrateurs en cas de sinistre dans leur unité.
Les déclarations de copropriété devraient préciser le comportement attendu des copropriétaires en ce qui concerne l’utilisation des lieux. Le BAC offre de produire des outils de gestion des risques simples et faciles à utiliser, comme un guide de prévention des sinistres. Certains de ces outils sont déjà disponibles dans son site Internet.
Le BAC suggère de créer un canal de communication entre l’assureur du copropriétaire et le syndicat pour trouver un terrain d’entente lorsqu’il y a litige sur la responsabilité du sinistre. Un agent de liaison spécialisé en copropriété pourrait être nommé par l’assureur à cette fin.
Selon le BAC, le processus d’arbitrage n’est pas une solution, car les décisions arbitrales ne sont pas publiques, contrairement aux décisions des tribunaux qui appliquent les nouvelles règles du cadre adopté en 2018.
Bémol des courtiers
Selon le courtier Vincent Gaudreau, vice-président de Gaudreau Assurances et membre du RGCQ dans la région de Montréal, le marché de l’assurance des copropriétés a continué de se stabiliser en 2021.
« En 2020, j’avais un téléphone par semaine de la part d’un syndicat qui n’arrivait pas à trouver un assureur », raconte-t-il. Il rappelle que les réclamations avaient été fort nombreuses en 2018 et 2019. En 2020, les conditions de souscription ont bel et bien été resserrées, les montants de franchises ont été augmentés et les syndicats ont subi de fortes hausses de primes.
Depuis, les assureurs ont connu une nette amélioration de leurs résultats et les augmentations sont plus raisonnables. Les primes augmentent de 5 à 10 %, estime-t-il, dont une bonne partie est attribuable à l’inflation. C’est le cas dans à peu près tous les secteurs en assurance des entreprises, précise le courtier. Pour « les dossiers normaux », M. Gaudreau ne rapporte pas de cas où les montants de franchise ont été fortement augmentés.
En assurance de dommages des biens des particuliers, les assureurs ne posent pas de problème, car ils ont des obligations à cet égard, note le courtier. Par contre, il admet qu’en matière de responsabilité civile, certains assureurs mettent plus de temps que d’autres à réagir aux demandes de réclamations. « Dans la même soirée à Repentigny, j’ai déjà vu 400 réclamations pour le refoulement d’égouts », dit-il.
Selon le courtier, il n’est pas exact de prétendre que tous les assureurs refusent de payer une indemnité. « C’est variable d’un assureur à l’autre. Certains font un chèque assez rapidement au syndicat pour compenser les dommages. Certains autres s’obstinent pendant des mois, sinon des années, même si dans certains cas, le copropriétaire assuré est à l’évidence responsable du dommage », dit-il.
Parfois, il existe des circonstances plus nébuleuses où l’assureur a le droit d’enquêter avant d’émettre un chèque. « En responsabilité civile, la seule obligation qu’a l’assureur est de défendre son client. Ce n’est pas la même obligation pour l’assurance directe des biens de l’assuré. Si l’assuré est responsable, l’assureur paiera les dommages liés à cette responsabilité », indique M. Gaudreau
Les franchises
Selon le courtier Ernst Bien-Aimé, directeur, groupes et associations chez Lussier, il arrive que des assureurs refusent des réclamations pour des immeubles en copropriété où la fréquence des sinistres est élevée. « Depuis deux ou trois ans, pour les grandes tours de condominiums, les franchises pour les dégâts d’eau varient de 100 000 $ à 500 000 $ », ajoute-t-il.
Des franchises plus élevées pour ce type de sinistre ont toujours existé, mais la situation s’est tellement détériorée ces dernières années que les assureurs ont resserré les conditions de souscription.
Quand l’immeuble a été bien construit et que le syndicat est bien géré, il n’y a pas de problème à trouver un assureur, de l’avis d’Ernst Bien-Aimé. « Des assureurs comme L’Unique ou Intact en prennent encore et les franchises sont raisonnables pour les dégâts d’eau », dit-il.
Désormais, les clients appellent 30 à 45 jours à l’avance et le courtier a le temps de trouver le bon assureur pour cet immeuble. « C’est vrai qu’il y a deux ans, il y avait des gens qui nous appelaient le vendredi après-midi pour obtenir une soumission alors que la police venait à échéance à minuit », raconte M. Bien-Aimé.
La location
Dans les édifices où plusieurs appartements sont loués, l’assurance de l’immeuble coûte plus cher, selon le courtier. Les gestionnaires doivent vérifier que chaque unité est couverte par une assurance tant pour les biens de l’occupant que pour les dommages en responsabilité civile.
Pour les quelque 600 immeubles en copropriété dont le cabinet Lussier s’occupe, de manière générale, l’assureur prend fait et cause pour son client, affirme M. Bien-Aimé. À propos des disputes qui engorgeraient les tribunaux, selon ce que rapporte le RGCQ, il note que cet aspect relève de l’assurance de dommages des particuliers, dont il ne s’occupe pas.
Depuis le début de 2022, l’augmentation moyenne de la prime serait d’environ 8 %, ce qui est assez similaire à la hausse observée dans l’ensemble de l’assurance aux entreprises. L’évaluation du coût de reconstruction est faite par des professionnels et les syndicats ont ajusté les limites de la garantie en conséquence, explique M. Bien-Aimé. Une indexation de 4 % est ajoutée pour considérer l’inflation des coûts de reconstruction.
Les assureurs n’ont pas encore transmis les résultats sur la sinistralité en 2021, mais selon ce qui est observé chez Lussier, il y a eu une amélioration des résultats en assurance des copropriétés. La preuve : on peut placer un risque chez un nouvel assureur, ce qui était impensable il y a deux ans.