La Cour d’appel du Québec infirme le jugement de première instance et accueille la requête d’Intact Compagnie d’assurance, qui n’aura pas à assumer la défense de Réal Lavoie dans une action collective intentée à l’encontre d’une organisation religieuse de Sherbrooke. 

Réal Lavoie a fondé Famille Marie-Jeunesse et il l’a dirigée pendant plus de 40 ans. D’anciens membres de la communauté allèguent avoir été victimes d’abus physiques, psychologiques et spirituels aux mains de cette organisation et de ses dirigeants « à la suite d’une dérive sectaire », résume la Cour d’appel.

Durant ces 40 ans, la responsabilité civile des personnes morales concernées (Fondation Marie-Jeunesse, Maisons FMJ et la Corporation archiépiscopale catholique romaine de Sherbrooke) et celle de leurs dirigeants ont été couvertes par différentes polices émises par une succession d’assureurs.

Certains d’entre eux ont pris fait et cause pour l’intimé Lavoie. La défense de ce dernier a été assurée par le cabinet Tremblay Bois Avocats, et ce, aux frais des assureurs ayant reconnu leur obligation de défendre. 

L’assureur Intact a nié la couverture et refusé de prendre fait et cause pour l’intimé. Le 7 juin 2022, le cabinet d’avocats dépose une demande de type Wellington en cours d’instance contre Intact et d’autres assureurs. La demande à l’égard des autres compagnies d’assurance sera l’objet d’un désistement. 

Intact plaide que l’intimé n’a pas l’intérêt juridique requis pour présenter une demande Wellington. Sur le fond, l’assureur allègue que les gestes reprochés à l’intimé sont de la nature d’une faute intentionnelle, laquelle est exclue de la police. 

En sus, l’assureur demande au tribunal de déroger au principe de l’unicité de représentation afin de lui permettre de retenir les services de l’avocat de son choix pour défendre l’intimé. 

La juge Geneviève Cotnam a rédigé les motifs de la Cour d’appel auxquels souscrivent ses collègues Sophie Lavallée et Frédéric Bachand

En première instance 

La juge Claudia P. Prémont, de la Cour supérieure, rend son jugement le 16 mai 2023, lequel est rectifié le 6 juin 2023. Elle conclut que l’intimé possède l’intérêt juridique requis pour soumettre la demande Wellington.

De plus, comme il est possible que les allégations exposées au soutien de la demande introductive d’instance donnent lieu à une réclamation couverte par la police d’assurance d’Intact, cela suffit à déclencher l’obligation de défendre, selon la juge Prémont.

Elle rejette également la prétention de l’assureur qui estime que les procureurs actuels de l’intimé se sont placés en situation de conflit d’intérêts en le représentant aux fins de sa demande Wellington

Les moyens d’appel 

Selon la Cour d’appel, la juge Prémont a eu raison de conclure qu’en l’absence d’une déclaration sous serment et des pièces pertinentes, elle n’était pas en mesure de se prononcer quant au partage des frais de défense entre les assureurs. L’absence de cette déclaration sous serment était soulevée par l’appelante (Intact), mais ce moyen d’appel est rejeté. 

Par ailleurs, l’appelante avance que, comme la défense de l’intimé est déjà assumée par d’autres assureurs, il n’a aucun intérêt à demander l’exécution en nature d’une obligation déjà exécutée par des tiers. 

La Cour d’appel remonte même à l’origine du véhicule procédural établi en 1999 qui forçait la Compagnie d’assurance Wellington à prendre la défense de son assurée.

L’objectif est d’éviter que l’assuré qui a le droit d’être défendu soit contraint de débourser immédiatement les frais de défense et de devoir attendre un remboursement ultérieur de l’assureur. En pareil cas, l’assuré se trouve dans une situation de précarité contre laquelle il cherchait justement à se prémunir en souscrivant un contrat d’assurance responsabilité. 

La Cour d’appel donne raison à Intact concernant l’absence d’intérêt juridique de la part de l’intimé Lavoie. Ce dernier n’assume personnellement aucuns frais pour sa défense et il reconnaît que les allégations concernant les périodes potentiellement couvertes par les polices d’Intact n’exigeraient aucun effort de défense additionnel. 

La demande Wellington est un recours qui appartient à l’assuré. La Cour d’appel a déjà précisé cet élément dans une décision rendue à l’encontre de l’assureur Travelers en 2022.

Dans la présente affaire, les autres assureurs « tentent de contourner ces enseignements en maquillant leur initiative sous les traits d’une demande émanant de l’intimé ». La Cour d’appel estime que la demande Wellington « n’est pas le véhicule procédural approprié pour permettre aux assureurs de régler les enjeux soulevés par une problématique de multiplicité d’assurances ». 

L’absence d’intérêt juridique suffit à la Cour d’appel pour infirmer le jugement de première instance et rejeter la demande Wellington. Elle ne se prononce pas sur les autres moyens d’appel soulevés par Intact.