En avril 2022, les ventes de voitures neuves au Canada ont reculé de 13,3 % par rapport à avril 2021.
Les choses ont bougé rapidement dans ce milieu. Il faut désormais commander son véhicule et attendre des mois avant d’en prendre possession. Les gouvernements forcent le virage vers les véhicules électriques, qui forment déjà les voitures de demain. L’explosion du prix de l’essence pourrait diminuer l’intérêt des acheteurs envers les modèles gourmands. Le marché de l’automobile est-il engagé dans un tournant historique ?
« Ce que l’on vit actuellement, c’est à peu près du jamais vu », répond Jesse Caron, expert du secteur de la voiture chez CAA-Québec, en entrevue avec le Portail de l'assurance. L’automobile comme objet de possession, notamment par les jeunes, de distinction sociale et de déplacements solos est remise en question et c’est un questionnement qu’il faut avoir, dit-il. De nouveaux constructeurs s’éloignent des vieux modèles de l’industrie qui reposaient sur des franchises et des concessionnaires.
Le CAA n’échappe pas à ce chamboulement. Tout en restant associé au domaine de l’automobile, il se dirige de plus en plus vers un concept plus large, la mobilité, qui englobe plusieurs solutions de déplacements. Mais, ajoute Jesse Caron, le secteur de l’automobile est cyclique et rien ne nous dit que dans trois ans, on ne sera pas revenu à une surproduction comme c’était le cas autrefois.
Passage forcé vers les véhicules électriques
À compter de 2035, la vente des véhicules à essence neufs sera interdite au Canada. Cette mesure, selon l’interprétation qu’en fait le CAA-Québec, exclurait les modèles hybrides rechargeables. Les véhicules d’occasion à moteur thermique pourraient toutefois continuer d’être transigés. Le Québec a aussi imposé des cibles de ventes progressives de voitures 100 % électriques ces prochaines années.
Ces objectifs sont-ils trop ambitieux ? « À CAA-Québec, dit son porte-parole pour la province, on pense qu’ils sont réalistes, mais on regarde jusqu’à quel point l’équilibre va se faire entre le prix d’un véhicule neuf à essence et son équivalent électrique. On nous promettait une parité d’ici 2025, mais l’écart demeure assez considérable malgré les subventions et fait encore peur à beaucoup d’acheteurs. La tendance des prix des véhicules électriques est à la baisse et ça va finir par s’équilibrer, mais nous n’en sommes pas encore là ».
Transformation de l’expérience d’achat
La demande pour les véhicules électriques est plus forte au Québec que dans les autres provinces, à l’exception de la Colombie-britannique. Le Québec a été un précurseur dans la mise en place d’un réseau de recharge efficace des batteries et l’électricité est propre et abordable. La hausse du prix de l’essence contribue aussi à la forte popularité de ces véhicules dans la province.
Il faut toutefois se montrer patient. Actuellement, il faut attendre des mois, parfois un an et même deux pour certains modèles électriques et hybrides, avant de recevoir le véhicule commandé. Il s’agit d’une transformation majeure de l’expérience d’achat, qui a pour effet de réduire les rabais ou d’affaiblir le pouvoir de négociation des acheteurs. Le CAA recommande actuellement à ceux qui envisagent de changer leur véhicule de le garder s’il est en bon état ou de le racheter à la fin de sa période de location.
Des pénuries qui pourraient subsister
Les délais de livraison actuels sont fortement liés à la pénurie mondiale de puces électroniques, dont l’industrie automobile est fortement tributaire, survenue à la suite d’un incendie qui a détruit une usine au Japon et de la COVID-10 qui a ralenti la production d’autres fabricants. Des géants comme Intel sont présentement en train de construire des usines.
Même après cette pénurie, le faible nombre de véhicules neufs dans les cours des concessionnaires québécois pourrait persister. Le Canada et le Québec encore plus, sont de petits joueurs vis-à-vis l’énorme marché américain qui s’accapare une grande partie du marché nord-américain. Si le véhicule recherché est disponible dans la province, la patience est tout de même de mise. Les cours sont presque vides. En Europe, rappelle Jesse Caron, il y a longtemps que les concessionnaires ont peu ou pas d’inventaires. On commande son véhicule et on attend. C’est une façon de faire nouvelle ici.
Selon lui, les concessionnaires québécois pourraient prendre goût à cette formule parce qu’ils n’ont plus à supporter et à financer de gros parcs de voitures à vendre et de vastes garages très coûteux à opérer. Il croit qu’un délai de livraison de six à huit semaines serait raisonnable. Y parviendra-t-on ?
Les véhicules construits au Canada, tels que les Toyota RAV4 et les Honda CRV à essence, sont plus facilement disponibles que des modèles électriques fabriqués dans d’autres pays. Toyota propose son premier modèle 100 % électrique, le BZ4X au look futuriste, un VUS dont le prix démarre à 44 990 $ pour le rendre éligible aux subventions. Mais oubliez l’idée d’en obtenir un à court terme. Chez Lévis Toyota, on indique que le délai de livraison est de deux ans et demi et qu’ils ne prennent déjà plus de commande !
Impacts de la hausse des prix de l’essence
La hausse très forte du prix de l’essence et la possibilité que ces augmentations se poursuivent pourraient-elles sonner le déclin des camionnettes utilitaires, les véhicules les plus vendus au Canada, comme modèles familiaux et de loisirs et entraîner une baisse de la popularité des VUS ?
« C’est difficile à prédire, mais on voit déjà l’effet immédiat, observe Jesse Caron : les gens sont encore plus déterminés à se procurer des véhicules électrifiés. Nous venons de participer au Salon du véhicule électrique et hybride rechargeable de Montréal : il a attiré 43 000 personnes. La première édition en avait amené 26 000 ».
« Est-ce que les gens vont délaisser les VUS et les camionnettes ? Il suffit que le prix de l’essence revienne à 1,50 $ et que pour des gens ça redevienne acceptable tant l’attrait pour ces modèles est immense », ajoute-t-il.
Des VUS à 8 cylindres, il en reste toutefois de moins en moins sur le marché, note-t-il. Les VUS les plus vendus sont souvent des modèles dérivés de voitures compactes, mais que les fabricants parviennent à vendre plusieurs milliers de dollars plus chers après les avoir habillés en VUS. Pour les camionnettes pleine grandeur, c’est presque devenu culturel dans certaines régions ou dans certains milieux de travail d’en posséder une.
Pour les mordus de ces véhicules qui commencent à étouffer sous le poids des pleins d’essence à 180 $, les camionnettes 100 % électriques s’en viennent. Le Ford F-150 Lighthing est à la veille de rouler sur nos routes au Québec, mais à près de 70 000 $, l’économie en essence prendra des années à se faire sentir.
Diminution des petites automobiles
L’augmentation très forte du prix de l’essence survient alors que le nombre de modèles de petites automobiles, dont les Québécois étaient particulièrement friands, a chuté ces dernières années. La Toyota Yaris et la Honda Fit ont été retirées du marché canadien il y a deux ans. Il reste toutefois un bon nombre de compactes, dont Mazda 3, Corolla, Honda Civic, et cette catégorie est encore populaire même si leurs ventes étaient en déclin avant la hausse des prix du pétrole, dit Jesse Caron.
On a aussi assisté ces dernières années au recul des intermédiaires de type berlines même s’il s’agit de véhicules très au point, moins énergivores qu’un VUS équivalent, très confortable et mieux insonorisés. La bonne nouvelle toutefois, c’est qu’en dépit d’une baisse de leurs ventes, il subsiste un marché assez vivant pour ces automobiles. Honda n’a jamais évoqué la possibilité d’abandonner la production de son Accord et Toyota de sa Camry.
Le prix de l’essence
Le 6 mai, le prix de l’essence a franchi 2 $ le litre à Montréal. Nul n’est capable de prédire quand cette hausse va s’arrêter et si le prix se maintiendra ou redescendra par la suite et jusqu’à quel niveau. Quels en seront les impacts : verra-t-on encore jusqu’à quatre véhicules par foyer comme c’est souvent le cas dans les banlieues et les régions ou les automobilistes vont-ils chercher d’autres options de déplacements moins coûteuses, ce qui pourrait se traduire par une diminution du parc automobile ? Les groupes préoccupés par les questions environnementales et les émissions des gaz à effet de serre le souhaitent.
Il y a aussi le prix des véhicules eux-mêmes qui pourrait un effet sur la demande. Ils sont déjà en forte hausse à cause de leur rareté. Avec la hausse générale du coût de la vie, les gens pourront-ils continuer à débourser 40 000 $, 50 000 $, 60 000 $ et plus pour des véhicules neufs ? Jesse Caron pense que les constructeurs, concessionnaires et sociétés de crédit vont rivaliser d’audace pour offrir des solutions comme ils l’ont fait avec des financements à long terme de 8 à 10 ans et que les ventes vont se poursuivre tant que l’industrie parviendra à offrir des mensualités jugées acceptables pour les acheteurs.
La demande et le prix des véhicules usagés a aussi grimpé en flèche depuis un an. Reviendra-t-on à des prix moins élevés ou resteront-ils hauts ? « Ça va suivre le marché des neufs, s’attend Jesse Caron. Quand les approvisionnements seront revenus à une certaine normalité, avec des délais raisonnables, le public va moins se tourner vers les véhicules d’occasion et les prix vont se stabiliser ».
Les innovations à venir
Les nombreuses améliorations technologiques ont fait grimper les coûts des véhicules et des réparations, révèlent les assureurs. Ces évolutions vont se poursuivre. Quelques-uns des grands progrès à venir vont se faire au niveau des véhicules électriques avec des batteries au lithium à électrolyte solide. Hydro-Québec les annonce comme la prochaine percée technologique majeure avec leur énergie massique très élevée, leur durabilité supérieure et leur poids très faible. Il y a quelques jours, La Presse et TVA Nouvelles ont consacré des reportages portant sur des incendies soudains qui avaient détruit des véhicules hybrides et électriques.
« Les batteries à électrolyte solide vont être un joueur clef dans l’évolution du marché des véhicules électriques », commente Jesse Caron. Cette technologie est aussi jugée plus sécuritaire en l’absence d’électrolyte liquide inflammable.
Véhicules semi-autonomes
Il évoque aussi pour le futur des systèmes d’assistance à la conduite semi-autonome. Le véhicule est capable d’assurer certaines fonctions comme c’est le cas de la Cadillac et son système « Super-cruise » qui permet une conduite mains libres sur les autoroutes divisées et compatibles. Est-ce une évolution qui avec une réelle valeur concrète ou un autre gadget qui va faire monter le prix du véhicule ? « Ça peut être souhaitable pour la sécurité routière, dit Jesse Caron, mais plusieurs conditions devront être remplies. Il faudra qu’une majorité de véhicules sur le marché soit munie de ce système, qu’ils se parlent entre eux et que les infrastructures soient en mesure de communiquer avec les véhicules. Et actuellement, nous n’en sommes pas là. C’est encore plus futuriste pour le Québec en raison de l’état de nos routes, de la neige et de la gadoue qui bloquent les capteurs et désactivent les systèmes ».
Mais une autre technologie qui améliore la sécurité fait son apparition cette année. Le freinage automatique d’urgence promet, tant le capteur n’est pas encrassé par la gadoue, dans la plupart des cas d’obliger le véhicule de ville à s’arrêter en cas d’urgence. À partir de 2022, 99 % des véhicules neufs seront munis de cette technologie. Ce système conçu pour contrer les distractions a fait ses preuves selon l’Institut des assureurs américains. Jusqu’à 40 km/heure, la plupart des véhicules vont s’arrêter avant d’avoir touché un obstacle.
Une transformation majeure du marché de l’automobile est en marche. Après Tesla, qui a révolutionné l’industrie, de nombreux nouveaux joueurs viennent jouer dans la cour des grands. Lors du récent Salon de l’auto de Los Angeles, cinq fabricants ont dévoilé leurs produits, tous électriques : Vin Fast, Lucid, Imperium, Rivian et Fisker. C’est sans compter la Polestar, qui appartient à la famille de Volvo Cars. Le chroniqueur automobile Antoine Joubert a décrit 2022 comme une année pivot. Le grand virage est réellement entrepris.