General Motors (GM) Canada a transféré 1,8 milliard de dollars canadiens (G$) d’engagements envers ses retraités à Sun Life, iA Groupe Financier et Rentes Brookfield, dans une transaction dont Willis Towers Watson a été conseiller. Elle a exigé un an de préparation.
La souscription de rentes collectives auprès des trois assureurs vise permettra au constructeur automobile de se départir du risque de longévité de plus de 6 000 retraités du régime de retraite à prestation déterminée de ses employés salariés.
À cette fin, GM Canada a souscrit des rentes auprès de trois assureurs dans les proportions suivantes : 1,1 G$ à Sun Life, 600 millions de dollars (M$) à iA Groupe financier et 100 M$ à Rentes Brookfield, un assureur qui commercialise uniquement des rentes.
Il s’agit d’une souscription de rentes avec rachat des engagements. Ainsi, le promoteur du régime paie une prime unique à l’assureur, qui devient en contrepartie responsable d’effectuer les paiements de rentes directement aux participants.
Douze mois de préparation
Cette entente se démarque en ce que GM Canada a transféré en nature aux assureurs la plupart des placements du régime de retraite, plutôt que devoir les vendre sur les marchés financiers. Le Portail de l’assurance a discuté des dessous de celle-ci avec deux de ses principaux acteurs.
« Nous avons consacré 12 mois à préparer cette transaction avec l’étroite collaboration de Willis Towers Watson, et celle du promoteur de régime », a révélé Mathieu Tessier, directeur général principal, relations avec la clientèle et innovation, solutions prestations déterminées de Sun Life. Selon lui, avoir plus de temps facilite la tâche de l’assureur dans la recherche des actifs les mieux appropriés à couvrir le risque.
Il a aussi rappelé la volonté déjà affichée par Sun Life d’augmenter son volume par transaction de transfert de risque de régime. En janvier 2020, Sun Life avait raflé la mise dans un transfert de 560 M$ que Compagnie minière Iron Ore prévoyait confier à trois assureurs dans son appel d’offres. « Nous nous mettons dans la peau d’un promoteur de régime qui a plusieurs milliards de dollars de passif envers ses retraités. Être capable d’assurer le tout dans une seule transaction par rapport à devoir retourner plusieurs fois au marché a une valeur pour lui. »
Pourquoi un transfert en nature s’est avéré un facilitateur
Autre déclencheur important aux yeux de M. Tessier : la transaction a principalement pris la forme d’un transfert en nature. Ce transfert sous forme d’actifs a atteint 1,4 G$ du total de 1,8 G$, signale le directeur général principal, relations avec la clientèle et innovation, solutions prestations déterminées de Sun Life. « Dans une transaction de rentes collectives, le promoteur de régime nous fait généralement un chèque. Il transfère de l’argent en espèces. L’alternative est de nous transférer des actifs, de nous envoyer par exemple un portefeuille obligataire », explique-t-il.
En entrevue avec le Portail de l’assurance, Éric Jobin, vice-président exécutif, solutions d’assurance et d’épargne collectives d’iA Groupe financier a rejoint M. Tessier dans ses propos. « Dans les transactions de rentes destinées à transférer le risque, il y a toujours une portion réglée au comptant et une portion en transfert d’actifs. Dans le cas de GM Canada, une bonne partie l’a été en transfert d’actifs. Dans une telle transaction, il est extrêmement facilitant d’avoir une bonne partie en transfert d’actifs, à la fois pour la caisse de retraite et l’assureur. Cela permet de gérer le risque de liquidité », explique M. Jobin.
Ce montant de 1,4 G$ en nature, Mathieu Tessier le qualifie pour sa part de faramineux. « Il est probablement plusieurs fois plus gros que le deuxième plus important transfert en nature à avoir eu lieu. Recevoir les actifs directement du régime de retraite nous aide dans la recherche des bons actifs. »
Il confie que le promoteur de régime a participé à cette quête d’actifs. La nature des actifs n’a pas été divulguée. Mathieu Tessier signale toutefois qu’il s’agit d’actifs propres à la gestion des risques de régimes.
« C’est grosso modo l’univers des placements à rendement fixe. C’est de là que nous partons pour trouver la majorité des actifs dont nous avons besoin », dit-il.
M. Tessier ajoute que Sun Life s’intéresse à d’autres actifs, notamment les placements dans les infrastructures ou la dette privée, qui présentent des caractéristiques de rendement fixe, « ou tout du moins qui feront que l’actif et le passif bougeront ensemble lorsque le marché subit des changements ». Un peu moins liquides que les obligations, ces placements donnent en revanche une prime de rendement supérieure, mentionne-t-il.
Question de passer inaperçu
Éric Jobin soulève de son côté les enjeux d’un transfert en espèces pour le promoteur de régime et l’assureur qui endosse ses risques. « Une transaction au comptant force la caisse de retraite à vendre ses actifs, et elle n’aura peut-être pas la pleine valeur au marché. Une transaction de cette taille implique d’importants volumes et ne passe pas inaperçue, surtout sur les marchés canadiens dans une seule journée. »
Pour l’assureur, recevoir un chèque plutôt que des actifs l’oblige quant à lui à déployer du jour au lendemain les liquidités, ajoute Éric Jobin. « Dans d’aussi grosses transactions, les marchés nous voient venir. Les vendeurs savent que nous n’avons pas le choix d’acheter. »
Lors d’une transaction en actifs, l’assureur peut prendre le temps de digérer le montant, poursuit M. Jobin. « Dans notre cas, cela permet à nos équipes de placement de déployer entre autres la stratégie de couverture des risques de marché. Nous visons à couvrir le risque de taux d’intérêt le jour de la transaction. Sinon, un assureur prend le risque que les taux bougent dans la journée. Par exemple, un écart de 10 points de base (0,1 %) peut faire fluctuer la valeur, facilement d’un et demi pour cent », illustre-t-il.
Pas de réassureurs dans le décor
La transaction n’implique pas de compagnie de réassurance. Mathieu Tessier dit avoir travaillé avec les réassureurs dans ce dossier avec Willis Towers Watson. Sun Life a toutefois pu résoudre selon ses mots « un problème d’une certaine taille à même notre bilan ». « Nous savons que nous avons leur appui, mais avons choisi de ne pas le concrétiser dans le cas de cette transaction. »
M. Tessier rappelle que Sun Life a recouru à la réassurance une seule fois en risque de retraite, soit en 2015 lors de la conclusion d’un contrat d’assurance longévité avec BCE, pour une couverture de 5 G$ envers le régime des employés de Bell Canada. RGA Canada et SCOR Global Life avaient été les réassureurs impliqués. Il dit continuer de penser que la croissance du marché canadien pourra bénéficier de l’appui des réassureurs mondiaux.
Même son de cloche du côté d’iA. « Nous avons beaucoup réfléchi sur le risque de longévité ces dernières années et nous avons conclu que nous sommes à l’aise de prendre ce risque sur notre bilan : la somme de 630 M$ se situe à l’intérieur de notre appétit pour le risque », révèle pour sa part M. Jobin.
Problème de longue date
Le poids de son régime de retraite pesait depuis longtemps sur General Motors, et ce à l’échelle mondiale, surtout à partir de la crise financière de 2008-2009. Professeur de finances à la Schulich School of Business de l’Université York en Ontario, Moshe Milevsky l’avait démontré lors de sa conférence au Congrès du Million Dollar Round Table, à Indianapolis aux États-Unis en juin 2009. Selon les données qu’il a alors partagées, GM apparaissait comme le grand constructeur dont le coût de sa caisse de retraite était le plus élevé par voiture vendue.
Le géant de l’automobile a jeté du lest en 2012, réalisant avec Prudential une transaction de rentes avec rachat des engagements de 26 G$ US. Il cédait ainsi à l’assureur l’ensemble des actifs et engagements liés au régime de retraite de ses employés.
Mentionnant la transaction américaine de GM, Mathieu Tessier a ajouté qu’elle a depuis lancé une vague de transactions similaires. Il signale que le marché des transferts de risque de régime a atteint 4,6 G$ en 2018, 5,2 G$ en 2019 et 4,4 G$ en 2020. Malgré la pause du printemps occasionnée par la COVID-19 qui a pesé sur les résultats de 2020, le marché a doublé depuis 2013, alors que le marché avait atteint 2,2 G$ selon le rapport Pension Risk Transfer Report de la firme d’actuariat Eckler, publié en mai 2020.