L’action collective intentée par les cliniques dentaires contre leur assureur se poursuit, en lien avec l’interruption des affaires découlant des mesures sanitaires associées à la pandémie de COVID-19. Le cabinet de courtage qui a fait souscrire le produit à la grande majorité des chirurgiens-dentistes pourra être interrogé par l’assureur, tranche le tribunal. 

Dans une décision rendue en Cour supérieure le 2 février dernier, la juge Silvana Conte a accueilli la demande de L’Unique Assurances générales, qui demandait la permission d’interroger un représentant de Sogedent Assurances

L’action collective est menée par le Centre dentaire boulevard Galeries d’Anjou, représenté par le cabinet d’avocats Kugler Kandestin.

L’action collective portée par la demanderesse a été autorisée par le tribunal le 18 août 2021. Elle vise à indemniser les membres du groupe pour les pertes de revenu subies en raison de la fermeture des cliniques dentaires ordonnée par le gouvernement du Québec dans son décret du 16 mars 2020, dans le contexte de la pandémie de COVID-19. 

Le cabinet Sogedent est responsable de la souscription ou du renouvellement de polices d’assurance émises par L’Unique aux membres du groupe. On apprend dans la décision récente du tribunal que selon la défenderesse, Sogedent a agi comme courtier pour 500 des 667 cliniques dentaires assurées par L’Unique et qui pourraient être membres de l’action collective. 

Cabinet multidisciplinaire 

Sogedent est inscrit comme courtier en assurance de dommages auprès de l’Autorité des marchés financiers. Le cabinet détient aussi des permis en assurance de personnes, en assurance collective de personnes et en planification financière.

Dans le registre de l’Autorité, on constate qu’en matière d’assurance de dommages des particuliers, tant en habitation qu’en automobile, le cabinet souscrit plus de 60 % de ses primes auprès d’un même assureur, Intact Compagnie d’assurance

Sogedent est la propriété de l’Association des chirurgiens dentistes du Québec, selon le Registre des entreprises du Québec. Fondé en 1980, le cabinet est aussi actif en services financiers. La présidente-directrice générale du cabinet est Karine Beaudoin. Mme Beaudoin a déja été directrice générale de la bannière Assurancia et présidente du conseil du Regroupement des cabinets de courtage d'assurance du Québec. Le président du conseil d’administration est Carl Tremblay, lequel est aussi président de l’association. 

La garantie 

La juge Conte rappelle que le débat porte sur l’interprétation de la garantie d’assurance pour pertes d’exploitation contenue dans la police émise par L’Unique. L’assureur soutient que la police est une assurance de biens commerciaux qui offre des garanties en cas de sinistre ayant atteint directement les biens corporels de l’entreprise assurée. 

En juin 2022, le tribunal a autorisé les interrogatoires des courtiers du centre dentaire qui ont été directement impliqués dans la souscription de la police et le processus de réclamation donnant lieu au litige. Ces courtiers sont chez Racine Chamberland et à la bannière Intergroupe

Le 24 janvier 2023, L’Unique demande la permission d’interroger au préalable un représentant de Sogedent. L’assureur soutient que cet interrogatoire est utile et nécessaire pour apprécier les attentes raisonnables des parties en vertu de la police d’assurance.

Selon L’Unique, le cabinet Sogedent semble avoir pris position dans ce litige et l’ordonnance est nécessaire afin de permettre à l’assureur d’obtenir des éléments de preuve avant le procès. 

De son côté, la demanderesse conteste la demande de l’assureur, qu’elle qualifie d’expédition de pêche et qui ne respecte pas les principes directeurs de la procédure civile. 

Analyse 

Dans sa décision, la Cour supérieure rappelle que la règle générale prévoit que les témoins sont interrogés au procès et que l’interrogatoire au préalable n’est pas un droit fondamental. Il est néanmoins prévu à l’article 221 du Code de procédure civile que des tierces parties peuvent être interrogées avant le procès. 

La requérante doit faire la démonstration que cet interrogatoire est utile et nécessaire pour connaître des faits essentiels au litige afin de faire progresser le débat.

Dans cette affaire opposant les dentistes et leur assureur, le tribunal estime que cet interrogatoire d’un représentant du cabinet Sogedent « est susceptible de faire progresser le débat sur les questions communes en litige, notamment en ce qui a trait aux attentes raisonnables d’une proportion importante des membres du groupe ». 

Dans une décision rendue en 2016 dans le litige opposant la firme de construction Ledcor à l’assureur Northbridge, la Cour suprême du Canada résumait les principes d’interprétation des polices advenant que le juge au mérite conclue que le libellé de la police d’assurance est ambigu. 

Le juge de première instance doit notamment « éviter une interprétation qui aboutirait à un résultat irréaliste ou que n’auraient pas envisagé les parties dans le climat commercial où la police d’assurance a été contractée. L’interprétation retenue doit s’accorder avec celles des polices d’assurance semblables », indiquait le plus haut tribunal du pays.

Si l’ambiguïté persiste, le tribunal doit appliquer la règle suivante : les dispositions relatives à la garantie doivent recevoir une interprétation large ; par ailleurs, les clauses d’exclusion doivent être interprétées de manière étroite.

En l’espèce, la Cour supérieure constate que le cabinet Sogedent « possède des informations essentielles en ce qui concerne les représentations faites aux membres du groupe quant à l’applicabilité des garanties d’assurance de L’Unique, dont la divulgation ne peut être obtenue autrement que par son interrogatoire au préalable ». 

L’évaluation des attentes raisonnables des membres du groupe devra se limiter à la période précédant le 13 mars 2020. L’interrogatoire doit être limité aux faits se rapportant aux représentations écrites aux membres du groupe et aux documents échangés chez Sogedent qui portent sur l’interprétation, la nature ou l’étendue de la police d’assurance de L’Unique. Les parties pourront formuler des objections durant cet interrogatoire. 

L’assureur doit produire sa défense d’ici le 24 mars 2023, apprend-on au paragraphe 12 de la décision du 2 février dernier. 

Les tribunaux québécois, canadiens et même américains ont jusqu’à maintenant été intraitables sur l’interprétation de la garantie couvrant l’interruption des affaires.