Selon Pierre Lortie, avocat spécialisé en droit des affaires, le cadre réglementaire unifié au sein de l’Autorité des marchés financiers en vigueur au Québec offre une plus grande flexibilité réglementaire et favorise la stabilité et la concurrence dans le secteur financier québécois.

Le 13 juin dernier, l’université de Calgary offrait un webinaire mettant en avant le rapport intitulé Réglementation des finances pour favoriser la croissance : Le Québec de l’expérience en perspective rédigé par Pierre Lortie.

Ce rapport examine l’expérience québécoise en matière de réglementation financière depuis les années 1960 et comment le Québec a réagi aux changements réglementaires fédéraux pour maintenir la prospérité et la compétitivité de ses institutions financières.

Durant cette rencontre virtuelle, Pierre Lortie a échangé avec Jack Mintz, un économiste fondateur et président de la School of Public Policy de l’université de Calgary, sur la possibilité d’harmoniser les réglementations financières fédérales et provinciales afin de stimuler la croissance économique.

« Je pense qu’il est crucial, non seulement pour l’Alberta, d’examiner attentivement votre document et de réfléchir à son potentiel pour développer le secteur financier. Mais je pense également que les autres provinces devraient également observer de près l’expérience québécoise », a souligné Jack Mintz durant la rencontre.

Le modèle du Québec  

Le Québec a adopté en 2002 un modèle d’agence unifiée de réglementation financière, mettant l’accent sur la promotion de ses propres institutions financières et renforçant la position de Montréal en tant que centre financier international.

Selon Pierre Lortie, cette approche unifiée favorise la neutralité concurrentielle entre différents types d’institutions financières, tout en offrant une certaine souplesse réglementaire. De plus, l’existence d’une agence intégrée permet de réaliser des économies d’échelle, facilitant ainsi le recrutement et la rétention de professionnels hautement qualifiés.

Le rapport souligne également le rôle particulier du Mouvement Desjardins, qui joue un rôle essentiel dans l’économie québécoise. Contrairement aux régimes réglementaires des autres provinces, la réglementation du Mouvement Desjardins lui confère des pouvoirs étendus sur les caisses populaires et en fait une entité unique présente dans divers secteurs tels que l’assurance vie, l’investissement et le courtage de valeurs mobilières et immobilières.

Le rapport indique ainsi que la valeur des actifs du Mouvement Desjardins représente 66,4 % de l’économie québécoise, tandis que dans d’autres provinces, les coopératives de crédit représentent des proportions beaucoup plus faibles. 

La réglementation financière au Canada  

En ce qui concerne la réglementation financière au Canada, le gouvernement fédéral a entrepris dans les années 1970 une réforme majeure visant à moderniser le système financier canadien et le rendre plus compétitif à l’échelle internationale.

En 1986, le gouvernement fédéral du Canada propose une réforme majeure visant à déréglementer le système financier du pays, en s’inspirant du modèle britannique. Cette réforme comprend plusieurs mesures clés, telles que la levée des restrictions sur la propriété commune des institutions financières, l’expansion des pouvoirs de prêt des sociétés de fiducie, de prêt et d’assurance vie aux particuliers et aux entreprises, ainsi que la création du Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) afin de centraliser la réglementation fédérale des institutions financières sous une seule autorité.

Le Québec a réagi en adoptant une approche pragmatique, accordant des licences à des sociétés de courtage et en permettant aux sociétés de fiducie québécoises d’exercer certains pouvoirs bancaires pour maintenir la compétitivité de ses institutions financières locales.

« Lorsque l’on examine l’histoire et les relations au Québec, la préoccupation principale n’était pas tant les pouvoirs du gouvernement fédéral, mais plutôt de veiller à ce que les institutions québécoises ne soient pas désavantagées par rapport aux institutions fédérales. Cela a conduit principalement à la mise en place de plans d’urgence en cas de faillite, afin de garantir que les investisseurs bénéficient du même niveau de protection dans une institution québécoise que dans une institution fédérale », précise Pierre Lortie.

Les aspects particuliers de la réglementation financière du Québec  

Le Québec a également mis en place des mesures spécifiques pour répondre à ses besoins en matière de réglementation financière. Par exemple, les courtiers en épargne collective au Québec ont une assurance responsabilité professionnelle qui ne couvre pas les fraudes, les négligences graves ou les détournements de fonds, contrairement aux autres provinces.

Pour remédier à cette situation, le Québec a créé le Fonds d’indemnisation des services financiers (FISF), qui vise à indemniser les consommateurs financiers en cas de fraudes commises par des représentants ou d’autres employés des courtiers en épargne collective.

Le Québec a également développé des exigences linguistiques pour les institutions financières afin de protéger les droits linguistiques des Québécois. Cependant, cette exigence de la langue ne fait pas l’unanimité auprès des entreprises canadiennes, qui évitent le marché québécois.

La place des nouvelles technologies au Québec 

Pierre Lortie souligne l’importance de mettre en place et de gérer un processus réglementaire adaptable pour accompagner l’évolution dynamique du marché des fintechs, permettant ainsi d’assurer un déploiement sécuritaire et efficace de ces nouvelles technologies.

Selon son rapport, le Canada est d’ailleurs considéré comme un environnement relativement propice aux startups, se classant au quatrième rang des pays pendant trois années consécutives.

Au Québec, l’Autorité des marchés financiers (AMF) a entrepris plusieurs initiatives pour renforcer sa compréhension des nouvelles technologies dans le but d’assumer efficacement son rôle de régulateur dans un environnement numérique.

L’AMF a ainsi établi un groupe « fintech » composé d’environ soixante employés dédiés à la surveillance des innovations fintechs. Ce groupe contribue aux efforts visant à maintenir un cadre réglementaire adapté aux réalités du marché québécois et aide les entreprises innovantes à se conformer aux lois régies par l’AMF.

Malgré ces initiatives, Montréal est actuellement classée au 40e rang dans le classement mondial des centres financiers pour la fintech, ce qui indique un niveau d’activité entrepreneuriale et de financement relativement faible dans le domaine des fintechs québécoises.

D’un autre côté, le rapport souligne également le succès de Montréal dans le domaine du développement de logiciels financiers, ce qui lui a permis d’acquérir une expertise de renommée mondiale dans ce secteur. Jusqu’à présent, l’organisme Montréal International, qui vise à promouvoir la région de Montréal en tant que destination pour l’investissement et le commerce international, a réussi à attirer près de 50 centres financiers internationaux.

Pierre Lortie profite du webinaire pour mentionner l’exemple de la société Morgan Stanley. « Grâce à Montréal International, la ville a pu bénéficier d’importantes sources de connaissance et d’expertise dans le domaine du développement informatique pour les services financiers. Un exemple notable est le centre de Morgan Stanley à Montréal, qui emploie 2 800 personnes. Près de 45 % de ces employés sont issus de CGI ou FX Innovation, ce qui positionne la ville comme le troisième plus grand site technologique de la banque, après l’Inde et New York », conclut-il.