Dans une lettre ouverte publiée dans le quotidien Le Devoir mardi, Louis Cyr, Alain Paquet et 15 autres personnalités ont fait part de leurs préoccupations face au projet de loi 141. Ils y dénoncent un recul majeur pour la protection du public.
Dans des entrevues réalisées séparément, les deux instigateurs de la lettre, Louis Cyr et Alain Paquet, élaborent davantage leurs propos. Ils affirment que le projet de loi 141 constitue un danger pour les consommateurs québécois et regorgent d’exemples pour l’appuyer. Les avantages conférés aux assureurs, la disparition des Chambres et le traitement du consommateur lors d’un sinistre ou d’une plainte les inquiètent au plus haut point.
Un grand dénominateur commun
L’économiste et universitaire Alain Paquet, aussi ancien ministre délégué aux Finances, affirme qu’un grand dénominateur commun a réuni les 17 signataires de la lettre : la protection du public. Ils sont tous liés de près ou de loin au milieu financier, mais proviennent d’horizons de renom. On y retrouve notamment les signatures de Claude Béland, ancien président du Mouvement Desjardins, et aussi celle de Rosaire Bertrand, ancien président de la Commission des finances publiques.
M. Paquet, autrefois élu du Parti libéral du Québec, souligne que cet enjeu transcende les partis politiques, rappelant que Rosaire Bertrand était, lui, un élu du Parti Québécois. M. Paquet invite d’ailleurs les parlementaires actuels à se poser les bonnes questions lorsque la lecture article par article du projet de loi 141 se fera, les incitant à garder la protection du public en tête. Il admet aussi sensibiliser les députés qu’ils croisent à la cause.
« On enlève la police ! »
Louis Cyr, bien connu pour ses années passées comme chroniqueur à la radio sous l’appellation de l’homme fort de l’assurance, est aujourd’hui président de Louis Cyr Assurances et de Juriance. Dans ses cabinets, il précise ne pas traiter avec le consommateur individuel, et œuvre uniquement en assurance des moyennes et grandes entreprises. Il se dit toutefois très soucieux face à ce qui se passe présentement.
L’abolition de la Chambre de l’assurance de dommages et de la Chambre de la sécurité financière le préoccupe particulièrement. « On enlève la police ! Cela n’avantage que les grandes institutions financières, et désavantage le public et les professionnels de l’industrie », déplore-t-il.
Pour M. Cyr, si le projet de loi 141 est adopté dans sa forme actuelle, l’assureur aura le droit de faire l’enquête qui le sied lors d’une plainte. Le consommateur pourra bien sûr déposer une plainte à l’Autorité des marchés financiers, admet M. Cyr. Il ne voit toutefois pas d’un bon œil que l’Autorité gère à la fois le traitement des plaintes des consommateurs et la supervision des institutions financières.
« Pour déposer une plainte envers un médecin, on la fait au Collège des médecins. Si la mouture actuelle du projet de loi 141 va de l’avant, les assureurs seront plus forts que la loi. »
Une enquête sans traces
Alain Paquet pousse sa réflexion plus loin. Il souligne que lorsqu’il y a une faute déontologique, le consommateur peut se tourner vers les Chambres, menant à une enquête de leur syndic. Après un jugement, le consommateur peut même en faire appel, tout à fait gratuitement, rappelle-t-il. Tout cela disparaitra avec l’adoption du projet de loi 141, déplore-t-il.
« Si le consommateur doit faire sa plainte auprès de l’assureur, il aura deux options. La première : s’entendre avec lui sur un dédommagement. S’il n’est pas d’accord, il devra se rendre devant le Tribunal administratif des services financiers, à ses frais. S’il s’entend avec l’assureur avant d’en arriver là, il n’y aura plus de traces de la quelconque enquête menée. Un syndic laisse des traces d’une enquête. On peut tirer des leçons de cette enquête et même bonifier la règlementation en conséquence. C’est ce qui me préoccupe ! Je me demande ce que cela cache d’autre », dit M. Paquet.
Risque systémique
La mesure faisant du Mouvement Desjardins une institution financière systémique du projet de loi 141 irrite particulièrement MM. Paquet et Cyr. Ils ne se disent pas contre la mesure, mais ils se demandent si la révision des lois encadrant le secteur financier est le bon endroit pour prendre cette décision.
Selon M. Paquet, qui a été député provincial pendant près d’une décennie, le tout aurait pu se réaliser autrement. Il serait possible selon lui de faire scission du projet de loi pour adopter les points qui font consensus, comme celui du risque systémique que pose le Mouveemnt Desjardins pour l'économie québécoise, et mettre de côté ceux qui ne font pas consensus. Il se questionne néanmoins à savoir pourquoi cette mesure se retrouve dans le projet de loi 141.
« Il faut évaluer ce qui est mieux pour la protection du public, mais le projet de loi 141 va à l’encontre de ce principe. Il va aussi à l’encontre de ce qu’ont fait les précédents gouvernements, même celui dont j’ai fait partie. L’enjeu de la protection du public n’a jamais été traité de manière partisane auparavant. Quand j’entends le ministre des Finances du Québec Carlos J. Leitão, ou encore Guy Cormier, président du Mouvement Desjardins, dire que ce sera mieux, cela ne suffit pas ! La disparition des Chambres est un problème en soi. Il faut que ce soit bâti sur un argumentaire solide. Ce n’est pas le cas en ce moment. Le débat doit continuer », dit M. Paquet.
Vers des scandales à la une des journaux
Louis Cyr renchérit pour sa part avec la problématique de la vente d’assurance par Internet. Il dit craindre de voir des cas de gens mal assurés se retrouver devant rien, parce qu’ils auront mal compris à la suite d’un sinistre majeur. Il donne pour exemple le cas d’une jeune famille dont la maison aurait été incendiée, mais qui s’en verrait refuser la reconstruction parce qu’elle n’aurait pas coché la bonne case et n’aurait pas bien compris les implications.
Qui plus est, M. Cyr se demande ce qu’il arriverait si en plus, l’assureur de la famille est aussi son créancier hypothécaire, une situation rendue possible si l’assureur est Desjardins. Cela la mènera directement à une faillite personnelle, croit-il. Et comment pourrait-elle se battre pour faire valoir ses droits devant un tribunal si les membres n’ont plus de revenus ? Ils ne pourront plus compter sur un syndic pour enquêter, déplore-t-il.
« Il y a un conflit d’intérêts ! Une telle pratique est interdite à travers le monde parce que le danger est trop grand pour le consommateur ! Pourquoi accorder une telle faveur au Mouvement Desjardins ? », se questionne-t-il.
Le cas de Samuel Archibald
MM. Cyr et Paquet soulignent que l’industrie a eu un avant-gout de ces scandales potentiels en début de semaine, avec le cas de Samuel Archibald, qui a fait tempête sur les réseaux sociaux et a mis le Mouvement Desjardins dans l’embarras. L’auteur et professeur à l’Université du Québec à Montréal (UQAM), qui souffre d’une dépression et qui est en congé de maladie depuis l’automne, affirme s’être fait refuser ses prestations d’invalidité après que Desjardins ait eu vent de certaines activités professionnelles qu’il aurait tenues lors de son congé. Le Mouvement Desjardins a fait savoir depuis qu’il révise son cas.
M. Paquet souligne que ce cas en assurance collective est particulièrement probant. Dans ce dossier, l’employeur détient la copie de la police, et non l’employé. Le travailleur a un simple dépliant. Même s’il avait la copie complète de la police, la lirait-il au complet ? « On doit avoir une vision globale de ces questions. »
Les 17 signataires de la lettre ouverte
Alain Paquet, professeur titulaire, ESG-UQAM, et ancien ministre délégué aux Finances ;
Louis Cyr, président, Louis Cyr Assurances ;
Christian Corbeil, directeur général, Option consommateurs ;
Rebecca Bleau, coordonnatrice, Coalition des associations de consommateurs du Québec ;
Robert Pouliot, cofondateur, Coalition pour la protection des investisseurs et ancien administrateur, FAIR Canada ;
Me Yves Joli-Cœur, avocat émérite, Regroupement des gestionnaires et copropriétaires du Québec ;
Me Claude Béland, ancien président, Mouvement Desjardins ;
Patrice Deslauriers, professeur titulaire à la faculté de droit, Université de Montréal ;
Alain Giroux, cofondateur, Forum Risques et Assurance inc. ;
Guy Duhaime, président, Groupe Financier Multi Courtage ;
Me Maxime Gauthier, chef de la conformité, Mérici services financiers ;
Fabien Major, associé principal, membre du conseil Élite du président Assante ;
Daniel Leduc, président, conseil des représentants de SFL ;
Bertrand Larocque, vice-président, Association professionnelle des conseillers en services financiers ;
Yves Le May, consultant en assurance de personnes ;
Gino-Sebastian Savard, président, MICA cabinet de services financiers,
Rosaire Bertrand, ancien président de la Commission des finances publiques (PQ)