Éric Benoit vice-président ingénierie, innovation et technologie de l’information (TI) chez SSQ Assurances, a soulevé le défi du recrutement de la main-d’œuvre compétente pour réaliser le virage numérique, lors d’un débat organisé à l’occasion de la conférence InsurTech Québec.

Les ingénieurs en logiciels ne connaissent pas tout. Les meilleurs éléments sont souvent des autodidactes. « Je suis toujours fasciné de voir que lorsque tu mets des gens en mode laboratoire, ils trouvent des solutions pour maitriser la technologie », dit-il.

La qualité de l’expertise est un enjeu

Le recrutement à l’externe est parfois compliqué : l’évaluation des compétences ressemble parfois à un coup de dés, tant les candidats sont nombreux à surévaluer leurs aptitudes, estime M. Benoit. Mais le plus difficile reste la capacité de l’assureur à transposer les nouveautés technologiques dans le contexte du processus d’affaires et des besoins de rentabilité. « Je n’ai pas de solution facile, ça doit se faire au cas par cas, c’est un défi quotidien », dit-il.

L’aspect intéressant du virage numérique est que l’enjeu principal demeure la qualité de l’expertise des ressources humaines, renchérit Benjamin VonEuw, leader du centre d’innovation chez iA Groupe Financier. Plusieurs des technologies nouvelles sont déjà assez matures, comme la vente de produits en ligne et la gestion des données massives. Le vrai défi est d’intégrer les technologies dans le contexte d’affaires de l’entreprise, et ça passe par le talent et les compétences du personnel.

« Il faut faire confiance aux gens. L’humain a montré sa capacité d’adaptation depuis plusieurs millénaires et il continuera de le faire. Des métiers disparaissent, mais les qualités de l’individu demeurent. Les gens évoluent, ils ont la capacité de se former », souligne M. VonEuw.

Pour ou contre l’impartition

L’impartition de la recherche et développement en la matière est nécessaire, car Desjardins n’aurait pas la capacité de recruter « les huit meilleurs diplômés du MIT à Lévis. On se bat déjà entre nous pour recruter les meilleurs en analyse de données ». Il y aura toujours des volets, dont la tarification, où l’assureur doit garder son expertise à l’interne, poursuit Philippe Gosselin, directeur de l’innovation, stratégie partenariat et innovation stratégique chez Desjardins Groupe d’assurances générales.

Frédérique Leclerc, vice-présidente au marketing et aux stratégies numériques à La Capitale Groupe financier, confirme que les assureurs ont encore le réflexe de gérer la recherche et développement à l’interne. « En mettant en place un écosystème en amont des projets, ça pourrait nous aider à collaborer davantage avec les insurtechs », dit-elle, et à gagner un peu en agilité.

La Capitale collabore avec la firme Behaviour, spécialisée dans le jeu vidéo, pour développer une nouvelle plateforme numérique. « Ils nous aident en amenant une manière différente de présenter les choses, en plus d’apporter une culture d’innovation et d’agilité », ajoute Mme Leclerc.

Benjamin VonEuw reconnait que l’intégration d’une startup dans la culture d’une grande entreprise représente un défi. « Il faut établir un lien de confiance. Nous avons un cadre imposé par l’Autorité des marchés financiers pour les règles de conformité », dit-il.

Selon M. VonEuw, les assureurs doivent trouver des alliés qui les aideront à mieux comprendre le comportement des consommateurs. « Le succès de Netflix, ça vient de l’anthropologie », dit-il.

Établir des partenariats

Éric Benoit insiste sur la nécessité d’établir le partenariat avec la startup qui offre la solution au problème que l’on veut résoudre. « Quand ça clique, autant sur l’outil que sur l’harmonie dans la relation de travail, c’est bon. Il n’y a pas d’exclusivité là-dedans, certaines entreprises ont réussi à se démarquer », dit-il.

L’entente comprend généralement un projet pilote avec un groupe ciblé d’utilisateurs. « Généralement, ça se passe bien, et on a eu des succès », indique M. Benoit.

Philippe Gosselin note qu’il n’aime pas l’idée de demander un projet pilote à une startup. « Chez nous, on ne fait jamais ça. Je trouve que c’est un manque de courage de la part du gestionnaire. Quand on demande un pilote, c’est souvent parce qu’on n’a pas eu le courage de leur dire non dès le départ, parce que ça ne nous coute pas grand-chose. Mais ce ne sont pas toutes les startups qui ont les moyens de faire du développement de cette manière. J’aime mieux dire non tout de suite, plutôt que de faire une fausse promesse », indique M. Gosselin.

On ne demande pas le même niveau de reddition de comptes à une startup qu’à une grande firme de consultants, ajoute M. Gosselin. Éric Benoit rétorque que le sentiment d’urgence contribue justement à l’agilité et à la rapidité d’innovation d’une startup, et c’est ce que l’assureur cherche à cultiver au sein de sa propre organisation.

Benjamin VonEuw reconnait que le financement des travaux de recherche et développement est un véritable enjeu pour une startup. L’utilisateur final doit éviter d’enterrer son fournisseur sous les demandes.

Frédérique Leclerc estime qu’il y a du bon dans la complémentarité des cultures entrepreneuriales du fournisseur et de l’assureur. « La diversité, c’est positif », dit-elle. Elle ajoute que les plus petits assureurs doivent se montrer plus agiles s’ils veulent survivre dans un marché très concurrentiel. « C’est un défi de faire les bons choix quand on a des moyens limités », dit-elle.

Éviter de s’éparpiller

De nombreux assureurs se dotent d’équipes spécialisées en innovation. Ça permet de tester rapidement des solutions qui se démarquent, souvent celles offertes par des jeunes pousses (startups). Cependant, il ne faut pas s’entêter si l’outil crée plus de problèmes qu’il ne permet d’en résoudre, poursuit M. Benoit.

Il faut d’abord se préoccuper des besoins du marché que l’on souhaite développer, souligne Benjamin VonEuw. Les startups ont leur utilité, mais leur pérennité n’est pas certaine. Selon lui, Lemonade est un bel exemple de réussite, même si la rentabilité n’est toujours pas là.

Les assureurs classiques doivent éviter de s’éparpiller en innovation, car ils n’ont pas les poches aussi profondes que les géants du numérique qui financent le développement de nouvelles plateformes. « Le résultat final de la solution peut être flou, mais la démarche et l’objectif à atteindre doivent être très bien définis », insiste M. VonEuw.

Philippe Gosselin rappelle que pour le développement d’Ajusto, Desjardins a travaillé avec une grande firme internationale qui avait déjà des partenariats similaires ailleurs dans le monde. « Ça permet de diviser les couts du développement de cette solution télématique entre plusieurs joueurs », dit-il. On vise le partenariat qui n’inclut pas d’autres concurrents immédiats dans le même marché.