Frappé par la pandémie, le marché du transfert des risques de régime de retraite par l’achat de rentes collectives a plongé de 14 % en 2020 avant d’effectuer une forte remontée en 2021 avec des ventes de 7,7 milliards de dollars (G$). Il s’agissait d’un montant record.

Totalisant 7,8 G$, les transactions réalisées en 2022 signent un autre record pour ce marché de prédilection des assureurs. Avec une progression d’à peine plus de 1 % par rapport à 2021, la croissance de ce marché a-t-elle atteint un plateau ?

Vice-président, relations avec la clientèle et innovation, solutions prestations déterminées (PD), de Sun Life, Mathieu Tessier répond que le marché des rentes collectives n’en est pas à son premier plateau, depuis son essor à partir de 2013.

À chacun des plateaux précédents, le volume des transactions a bondi, selon les propos de M. Tessier. « Il y a eu le plateau de 2013 à 2016 avec une moyenne annuelle de transactions de 2,5 G$, celui de 2017 à 2020 avec une moyenne annuelle de 4,5 G$ et maintenant celui des deux dernières années, avec une moyenne de presque 8 G$ », relate-t-il. 

Les régimes collectifs à prestation déterminée garantissent à l’employé une rente de retraite à vie. Face à des risques tels que le placement et la longévité des retraités voire les difficultés financières de l’employeur, leurs promoteurs se tournent de plus en plus vers l’achat de rentes collectives. Le promoteur peut choisir de se départir des risques tout en demeurant l’administrateur du régime et le payeur des prestations. Il s’agit d’une transaction sans rachat des engagements (ou buy-in dans le jargon de l’industrie). Le promoteur peut aussi choisir de se départir des risques et de l’administration ainsi que du paiement des prestations, dans une transaction avec rachat des engagements (ou buy-out).  

Plusieurs compagnies d’assurance de personnes offrent des rentes collectives aux promoteurs de régimes de retraite désireux de gérer leurs risques, dont Assomption Vie, BMO Assurance, Co-operators Vie, Desjardins Sécurité financière, Canada Vie, iA Groupe financier, RBC Assurances, Rentes Brookfield et Sun Life.

Selon le plus récent rapport publié par Eckler (en 2022), Sun Life occupait la tête du marché des rentes collectives, avec une part de 29 %. RBC et Rentes Brookfield occupaient le 2e rang avec chacun 17 % du marché, suivis de Desjardins avec une part de 13 %, BMO à 9 % et iA à 8 %. Eckler est un cabinet d’actuaires qui se spécialise dans le transfert des risques de régimes de retraite.

Taux d’intérêt attrayant 

Les résultats de 7,8 G$ réalisé par le marché des rentes collectives en 2022 sont exceptionnels à plus d’un point de vue, selon Mathieu Tessier. En premier lieu grâce à la hausse des taux d’intérêt, « qui sont passés de 3 % en 2021 à entre 4,5 et 5 % en 2022 », mentionne-t-il en faisant allusion aux taux d’intérêt à long terme.

La prime à payer pour une rente diminue lorsque les taux d’intérêt à long terme augmentent (par exemple, le taux d’obligations d’une durée de 10 ans ou plus), rappelle Mathieu Tessier. Aperçu de Sun Life qui couvre l’ensemble du marché, Info Industrie révèle que le prix des rentes collectives s’est amélioré d’environ 6 % depuis le début de 2019 par rapport à celui des obligations provinciales. Selon ce rapport, le rendement d’une rente s’est établi à 4,91 % en 2022, comparativement à 4,15 % pour les obligations provinciales. 

Selon les données révélées par Eckler, les promoteurs pourraient avoir payé encore moins cher dans la première moitié de 2022. « L’augmentation des rendements obligataires à long terme se traduit par une réduction du coût requis pour assurer les prestations des participants aux régimes de retraite par l’intermédiaire d’un achat de rentes. Pour un régime à prestations déterminées (PD), ce coût a probablement diminué de 10 à 15 % depuis le début de l’année », écrivait la firme d’actuariat en juin 2022, sur son site. 

Réparer le toit 

Mathieu Tessier fait valoir que la hausse des taux d’intérêt a aussi bonifié le provisionnement (solvabilité) de plusieurs régimes de retraite. « Cela a incité les promoteurs à venir au marché des rentes collectives », dit-il. Le meilleur provisionnement des régimes donne selon lui aux promoteurs des occasions d’enlever du risque dans leurs régimes, sans trop d’impact financier sur le régime.

Beaucoup de promoteurs de régimes à prestations déterminées songent à des solutions alternatives de gestion des risques, et que les rentes collectives sont sur cette liste, selon Mathieu Tessier. « Quand il fait beau, c’est l’occasion de réparer le toit, illustre-t-il. Cela n’est pas nécessairement le cas lorsque le régime affiche un déficit. Certaines considérations de provisionnement ou de comptabilité entrent en jeu. »

Selon ses informations, le régime à prestation déterminé moyen au Canada est provisionné au-delà de 110 % de ses obligations envers les employés et les retraités. « Nous n’avions pas vu ce niveau de provisionnement souvent depuis les 25 dernières années », commente-t-il. En guise d’exemple, un régime affichant un niveau de solvabilité de 110 % dispose hypothétiquement de 1,10 $ pour chaque dollar d’obligation qu’il aurait envers les participants, si le régime était liquidé.

L’inflation fait vendre 

Le rapport Info Industrie révèle en outre que plus de 85 transactions de rentes collectives ont eu lieu en 2022, ce qui inclut 15 acheteurs récurrents. Parmi les promoteurs qui sont allés en appel d’offres depuis 2013, 45 l’ont fait au moins deux fois et plus de 20 l’on fait au moins trois fois.

Mathieu Tessier

Autre fait marquant qu’a relevé Sun Life : 2022 a été une année record pour les rentes indexées à l’inflation. Elles ont suscité 17 transactions totalisant 900 millions de dollars (M$), soit une valeur en croissance de 50 % par rapport à 2021. Les 10 transactions de rente indexées à l’inflation répertoriées en 2021 par le rapport de Sun Life ont totalisé 600 M$. « Les assureurs ont conclu des contrats de rentes indexées sur l’inflation d’une valeur d’environ 1,4 G$ dans les cinq dernières années », ajoute M. Tessier. 

De son côté, la hausse des prix a ralenti en 2023. L’inflation mesurée selon l’indice des prix à la consommation global (IPC) par la Banque du Canada s’est établie à 3,4 % en mai 2023, comparativement à 4,4 % le mois précédent. L’inflation mesurée par l’IPC global avait atteint un sommet de 8,1 % en juin 2022.

Coup de pouce d’Assuris 

En rehaussant ses niveaux de protection, Assuris a donné un coup de pouce au marché des rentes collectives, selon Mathieu Tessier. Assuris protège les prestations d’assurance de personnes, de rentes et de garanties des fonds distincts en cas de faillite d’un assureur. Depuis le 25 mai 2023, Assuris protège entièrement le revenu mensuel d’une rente jusqu’à 5 000 $ ou 90 % du revenu mensuel de la rente si cette somme dépasse 5 000 $. Avant le 25 mai 2023, le niveau de protection était fixé à 2 000 $ ou 85 % du revenu de rente si cette somme dépassait 2 000 $. 

La limite sur le revenu mensuel était à 2 000 $ depuis plusieurs décennies, note M. Tessier. « Cette augmentation modernise adéquatement la protection, a-t-il commenté. La nouvelle protection reflète donc non seulement la variation du coût de la vie et des rentes moyennes (pour les rentes de moins de 5 000 $), mais augmente aussi la protection minimale pour les rentes de plus de 5 000 $. »

L’augmentation de la protection d’Assuris devrait selon M. Tessier augmenter la confiance des promoteurs et des participants de régimes envers les assureurs qui prennent en charge les prestations de retraite. « Nous pourrions voir une simplification de la mise au marché des transactions, car moins de tranches seront nécessaires pour obtenir une couverture Assuris équivalente. Ceci pourrait en théorie améliorer l’efficacité opérationnelle et la compétitivité du marché », explique-t-il.