Division de solutions technologiques de l’assureur spécialisé en santé Green Shield Canada (GSC), HBM+ rapporte dans son rapport Perspectives stratégiques et tendances-médicaments 2022 que le montant total annuel des réclamations de médicaments qu’il a traitées est passé d’environ 1,4 milliard de dollars (G$) en 2017 à 2 G$ en 2021. Durant cette même période, le nombre de réclamants a augmenté de 1,9 million à 2,1 millions. HBM+ a aussi observé une hausse de 6,2 % du coût total des médicaments réclamés entre 2020 et 2021. Selon le rapport, HBM+ a traité plus de 30 millions de réclamations en 2021.

Chantal Faucher-Francoeur

Directrice stratégie pharmacie Québec de HBM+, Chantal Faucher-Francoeur convient que la croissance des coûts attribuables aux médicaments de spécialité (dont le coût moyen annuel par réclamant a été de 10 000 $ ou plus) est une tendance préoccupante. « Mais notre rapport fait ressortir une autre tendance préoccupante : il y a des conditions plus communes, anciennement traitées par des produits traditionnels (coûtant moins de 10 000 $ par réclamant), qui seront maintenant traités par des produits biologiques beaucoup plus dispendieux », signale Mme Faucher-Francoeur.

Les régimes sont ainsi confrontés à de grands groupes de patients traités soudainement par un médicament plus cher, explique-t-elle. Ces médicaments biologiques pour maladies communes coûteront moins cher que ceux qui traitent des maladies rares (orphelines). Un médicament qui coûte 5 000 $ et traite un bassin de 300 000 patients (coûts totaux de 1,5 G$) aura un plus grand impact qu’un médicament de 100 000 $ qui traite 20 patients (coût de 2 millions de dollars (M$)), fait-elle valoir.

Le traitement du diabète est selon elle un excellent exemple de cette tendance. Le rapport de HBM+ révèle que le diabète s’est classé en 2021 au deuxième rang des coûts de médicaments du top 5 % des plus grands réclamants, et au dixième rang dans la catégorie du top 1 %. « Sa présence tant dans le top 1 % que dans le top 5 % s’explique par la forte prévalence de la maladie et l’augmentation du coût du traitement par patient en raison de l’utilisation de nouveaux agents antidiabétiques », peut-on lire.

Parmi les grands réclamants du top 5 % figurent également des patients aux prises avec des maladies courantes telles que l’asthme, l’anxiété, la dépression, le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité (TDAH) et la douleur. Le rapport de HBM+ souligne que trois classes de médicaments connaissent une importante croissance du nombre de réclamants et des coûts : les médicaments contre le diabète, l’obésité et la fibrose kystique.

Renouvellements salés

Le coût des médicaments onéreux est un gros enjeu, tant pour les régimes privés que pour le système de santé public, lance d’emblée Alexandre Timothy, directeur, développement des affaires d’AGA assurances collectives. « C’est une bonne chose qu’il s’agisse souvent de traitements qui n’existaient pas, mais ils sont aussi ultra-coûteux. On voit que la proportion des coûts en médicaments se dirige vers les 50 % des coûts totaux d’un régime », dit-il. Dans son Rapport sur les tendances et références canadiennes en matière de consommation de médicaments 2022, TELUS Santé prédit que ce seuil sera atteint en 2026.

Alexandre Timothy

M. Timothy signale que les soins de santé représentent en moyenne 60 % de la prime d’assurance collective, et que les réclamations en médicaments représentent les trois quarts de cette portion de la prime attribuée aux soins de santé. « Il y a de plus en plus de grands réclamants », ajoute-t-il. AGA distingue deux catégories de grands réclamants : ceux qui réclament 10 000 $ et plus ; et les autres qui peuvent réclamer 50 000 $ voire 60 000 $ sinon plus. « Ils sont moins nombreux, mais bien visibles », note le directeur du développement des affaires d’AGA.

Il y a quelques semaines, M. Timothy a dû présenter à des clients des augmentations de primes d’assurance collective de 55 % dans un cas et de 100 % dans un autre, « parce qu’il y a de nouveaux grands réclamants de 50 000 $ dans ces groupes ». Il attribue ces hausses aux nouveaux médicaments, au vieillissement de la population et l’augmentation de la consommation de médicaments. « Les employeurs comprennent que la prime doive être ajustée. »

Lors d’un renouvellement, M. Timothy fournit à ses clients l’expérience de leur régime, soit un historique des réclamations. Cet historique ventile par exemple le montant des réclamations par certificat d’assurance (le nom de l’assuré est confidentiel) et par type de médicaments. « Si tu remarques une réclamation de 50 000 $ que le régime n’avait pas il y a deux ans, cela peut expliquer la grosse augmentation de la prime », explique-t-il.

Pas le choix de garder le régime

Alexandre Timothy soulève que les entreprises sont entre deux feux au moment du renouvellement. La pénurie de la main-d’œuvre leur intime d’offrir des avantages sociaux compétitifs, alors que l’environnement économique exige des finances saines.

Lise Trahan

Vice-présidente, développement des affaires de AFL Solutions collectives, cabinet d’assurance collective affilié à Synex Solutions collectives, Lise Trahan dessert une clientèle de groupes dont la taille varie de 2 à 700 employés. Elle observe que les employeurs seront portés à conserver leur régime, malgré l’impact de la pandémie sur la prime d’assurance collective. Car la pandémie en a beaucoup, observe Mme Trahan.

Elle dit que l’impact sur les prix de l’assurance collective ne vient pas seulement de la garantie santé, mais aussi des garanties vie et invalidité de longue durée. « Les taux de cette garantie ont augmenté chez tous les assureurs cette année, et il est très difficile de les négocier », souligne la spécialiste du courtage. « Les assureurs disent que plus de gens sont décédés, parce qu’ils n’ont pas reçu le traitement approprié, que plus de gens sont en invalidité et que celles-ci durent plus longtemps », explique Lise Trahan.

En ce qui touche la garantie santé, Mme Trahan remarque une augmentation de la consommation des médicaments et des soins paramédicaux. Elle signale que le montant des réclamations en soins dentaires a augmenté de façon importante en 2022. « On voit des augmentations partout. Avant la COVID-19, les augmentations tournaient autour de 6 %. Aujourd’hui, la moyenne est autour de 13 % », dit-elle.

« Dans un marché de la main-d’œuvre difficile, il est essentiel de porter un regard beaucoup plus global. Il faut rappeler à l’employeur que l’assurance collective fait partie de l’offre à leurs employés », mentionne Lise Trahan. Parce qu’il peine souvent à retenir les employés ou à les attirer, l’employeur acceptera l’augmentation. « Et non seulement il prend l’augmentation, il nous demandera ce qu’il peut ajouter à son régime pour le rendre plus intéressant aux yeux de ses employés », dit-elle.

Équilibrer contrôle et valeur ajoutée

Pas un mois ne passe sans qu’un client employeur ne demande à la vice-présidente du développement des affaires d’augmenter sa cotisation au régime collectif de ses employés. D’après l’analyse de sa clientèle, elle remarque que plusieurs ont augmenté leur part à 50 %, alors que la cotisation moyenne des employeurs tournait auparavant autour de 25 %. « Ils le font pour que leurs employés n’aient pas à subir la hausse de prime », confie Lise Trahan.

Les employeurs lui demandent ensuite ce qu’ils peuvent faire de plus. « Il est difficile de trouver des améliorations aux régimes parce que l’on doit garder en tête un juste équilibre entre contrôle des coûts et la valeur de ce que l’on va ajouter au régime », explique-t-elle. Pour répondre, le courtier doit selon elle considérer le régime dans sa globalité : offrez-vous un programme de retraite ? devrait-on ajouter le compte de gestion de santé ?

Lise Trahan croit que le compte de gestion de santé contribue à augmenter la prévisibilité des coûts du régime. « Il permet à l’employeur de contrôler les coûts tout en ajoutant de la valeur aux employés », dit-elle. Par exemple, l’employeur pourra offrir un compte de gestion de santé de 1 000 $ par année à chaque employé. Il pourra ainsi se procurer des soins qui ne sont pas couverts par son régime de base, explique Mme Trahan. « Si dix d’entre eux l’utilisent pleinement, l’employeur sait qu’il ne paiera pas plus de 10 000 $. » Elle remarque que tous les employés n’utilisent pas nécessairement les montants dans leur compte. Dans la clientèle de son cabinet, des employeurs choisissent de ne pas reporter les montants inutilisés dans le compte de l’année suivante. D’autres le reporteront une année seulement.

L’aide du régime public

Mike McClenahan

Vice-président, solutions des partenaires, de Benefits By Design (BBD), filiale de La Corporation People, Mike McClenahan salue le nombre croissant de provinces qui optent pour remplacer le médicament de spécialité par sa version biosimilaire dans le régime public d’assurance médicaments.

Ce mouvement a été initié par la Colombie-Britannique en mai 2019. M. McClenahan ajoute que l’Alberta, le Nouveau-Brunswick et le Québec ont suivi. Parmi eux, le Québec l’a fait en avril 2022.

Alexandre Timothy croit aussi que cette tendance sera bénéfique pour le contrôle des coûts. Il rappelle qu’au Québec, l’assureur privé ne peut jamais offrir moins que ce que prévoit le régime public de la Régie de l’assurance maladie du Québec (RAMQ). Lorsque le régime public inscrit un médicament à sa liste, les régimes privés doivent aussi le couvrir.

« Cela nous limite par rapport au reste du Canada sur ce que l’on peut faire pour réduire les coûts. On peut avoir un très bon impact sur la consommation de médicaments pour des conditions chroniques », dit Alexandre Timothy. Le courtier peut ainsi ajouter une clause qui oblige le passage d’un médicament d’origine à un générique, qui sera généralement beaucoup moins cher. « Mais pendant longtemps, nous n’avons pas pu mettre cette clause pour les médicaments biologiques, qui coûtent parfois 50 000 $ ou plus », ajoute le courtier. Il dit qu’en moyenne, l’usage du produit biosimilaire permettra de réduire les coûts de moitié.

Depuis que le régime public du Québec a emboîté le pas pour forcer le passage au biosimilaire, « pas mal tous les assureurs se sont collés à la pratique de la RAMQ », observe Alexandre Timothy. « Techniquement, nous devrions voir un impact dans les prochaines années. Les réclamations des grands réclamants devraient être moins coûteuses », ajoute-t-il.

Prix le plus bas

Pour sa part, Mike McClenahan signale une autre avenue de contrôle des coûts, qui n’est toutefois pas possible au Québec : les réseaux de fournisseurs privilégiés. « Ces réseaux ont connu une forte croissance », dit-il. M. McClenahan ajoute que La Corporation People offre aux participants de régime un outil appelé Avantage People. « Si un participant magasine dans certaines pharmacies au détail ou virtuelles, il obtiendra un rabais sur le prix des médicaments. » Il mentionne que le service s’est graduellement étendu aux soins de la vue et aux items non médicaux vendus au comptoir des pharmacies.

Mike McClenahan estime que les données sur l’offre de ces réseaux sont encore à leurs balbutiements. Il sera selon lui intéressant de voir dans le temps si on peut observer un retour sur l’investissement qui pourra démontrer leur valeur.

Cet article est un Complément au magazine de l'édition d'octobre 2022 du Journal de l'assurance.